Laure Ducos Greenpeace France

Laure Ducos (Greenpeace) : il faut un plan pour l’agriculture biologique

Après avoir été auditionnée par la Convention Citoyenne, la chargée de campagne Agriculture et alimentation de Greenpeace France, Laure Ducos, a accepté de revenir sur les évolutions nécessaires de notre système alimentaire, de la ferme à la fourchette. Elle décrypte ainsi pour Actu Retail le sondage réalisé par BVA sur « les changements attendus par les Français post covid19 ». Selon elle, des solutions existent pour permettre à court terme de nettes améliorations, reste à savoir si la volonté politique de les mettre en œuvre existe également… Premiers éléments de réponse ce samedi avec le vote des 150 citoyens à 9h30.

Le sondage BVA pour Greenpeace souligne l’envie d’une grande majorité de Français d’avoir plus facilement accès à l’alimentation biologique, quels sont selon vous les principaux moyens d’action ?

Il y a beaucoup de solutions différentes pour agir sur la question de l’accessibilité. De mon point de vue, il faudrait pouvoir toutes les actionner en même temps afin de maximiser leur effet. S’il est difficile de les classer par ordre de priorité, cela passera néanmoins immanquablement par un soutien massif à la production agricole biologique. L’idée est simple, plus il y aura des produits issus de l’agriculture biologique, plus ils seront accessibles !

Pour cela, il faut en priorité modifier la politique agricole commune, afin qu’elle intègre une dimension alimentaire C’est la demande portée par la Plateforme pour une autre PAC. Parmi les autres leviers d’action figurent les cantines. Par exemple en France, la loi EGALIM élaborée en novembre 2018 rend désormais obligatoire le fait de proposer au moins 20% de produits bio dans la restauration collective. Il faut désormais que le gouvernement accompagne les collectivités dans cette démarche.

Cette mesure, revêt une dimension sociale évidente ; comme on a pu le voir récemment pendant la crise, le confinement a augmenté la précarité alimentaire du fait de l’éloignement des enfants des familles modestes des cantines scolaires. C’est pourquoi, il est important que les collectivités territoriales mettent parallèlement en place, pour les cantines, des tarifs adaptés aux quotients familiaux.

Au niveau de l’Etat cette fois, il existe également plusieurs mécanismes qu’il serait possible d’actionner pour favoriser l’accessibilité du bio. Cela commence bien sûr par la baisse de la TVA sur les produits issus de l’agriculture biologique, mais aussi par la distribution de chèques alimentaires, ou encore en étant plus ambitieux, on pourrait envisager la création d’une sécurité sociale alimentaire.

Par ailleurs, Greenpeace milite aussi pour le développement des jardins de Cocagne, ces projets ont à la fois une dimension sociale et écologique. Leur objectif est de favoriser l’accès à l’emploi des personnes en situation de réinsertion tout en produisant des produits bio à des prix plus abordables. Pour finir, il faut souligner l’importance de privilégier les projets locaux ; à nos yeux, cela n’a pas de sens d’importer des produits bio moins chers.

Par ailleurs, l’étude indique que plus de 82% des Français seraient favorables à une réduction de la consommation de viande, quelle est votre opinion sur des produits comme « beyond the meat », « Révolution Champignon » ou encore sur le développement des burgers végétariens ?

A Greenpeace nous privilégions les produits frais au lieu des produits transformés De plus « Beyond the meat » commence à peine à s’installer en Europe, donc on ne conseille pas forcément de les importer. Cependant, on sait très bien qu’il n’est pas toujours simple de cuisiner des produits frais et de saison au quotidien. C’est pourquoi on peut admettre que ces produits fassent partie des solutions intermédiaires pour la transition alimentaire, afin de réduire nos consommations de viandes.

Récemment, l’Assemblée Nationale a toutefois décidé que les « imitations végétales de viande ne pourront plus s’appeler « steaks » ou « saucisses » » ; comment comprenez-vous cette décision ?

C’est assez simple à comprendre lorsqu’on écoute les débats sur la loi EGALIM au Parlement. Pour le dire sans détour, on assiste à une véritable bataille culturelle ! C’est une question de sémantique, pour la viande et contre le végétal. Cette étape de l’interdiction des « steaks » et des « saucisses », c’est une victoire pour l’industrie de la viande. Cette victoire a été possible car il y a de très nombreux parlementaires qui sont en faveur de l’élevage et qui n’ont pas du tout intégré la nécessité de consommer moins de viande mais mieux. Ce qu’il faut comprendre, lorsqu’on évoque la possibilité de consommer moins de viande, c’est qu’il y a toute une industrie derrière qui a très peur. Mais ce que ces industriels ne comprennent pas, c’est qu’il s’agit ici de consommer moins ET mieux ; et du coup on assiste quasiment à chaque approche à une levée de bouclier.

Aussi, pour réduire ce mouvement sociétal vers moins de viande, l’un des moyens qu’ils utilisent c’est la bataille sémantique. Ce qu’ils cherchent à faire c’est d’éviter que dans l’esprit de la population la substituabilité des produits accélère la dynamique qui est déjà à l’œuvre. D’après eux, le consommateur lambda, dès lors qu’il verra steack végétal, dans un rayon de supermarché, sera susceptible d’envisager de se dire : « tiens, et si pour une fois mon steack de viande, je le remplaçais par un steack végétal ». Pour éviter cela, ils ont décidé simplement de faire interdire ce nom !

Malheureusement, c’est sûrement efficace auprès d’une partie de la population, celle qui commence à se poser un certain nombre de questions sur l’impact sur l’environnement de son régime alimentaire, sans pour autant bien connaître les concepts de la nutrition. Il faut dire qu’il y a encore beaucoup de mythes autour de la viande, certains ont par exemple peur de manquer de fer ou de protéines ; pour cette partie de la société, un steack végétal pourrait être rassurant.

L’utilisation de ce genre de pratiques est néanmoins systématique ; on observe ainsi le même combat autour du mot « flexitarien » ! Cette notion qui provient à l’origine des États-Unis, signifie manger moins de viande, pourtant un site internet a été créé pour indiquer que flexitarien, c’est manger de la viande de meilleure qualité, pour essayer de faire oublier l’aspect de réduction de consommation. Autre exemple, chaque année au salon de l’agriculture l’industrie de la viande prépare elle-même des stands flexitariens, mais c’est une vaste tromperie. Pour défendre la consommation de viande, tous les coups sont bons…

L’enquête BVA précise aussi que 87% des Français souhaitent « interdire l’entrée sur le territoire français de produits ayant potentiellement contribué à la déforestation dans d’autres pays du monde » ; sur l’exemple de l’huile de palme, pensez-vous que des labels comme RSPO permettent de préserver à la fois l’environnement et les conditions du développement économique dans les pays producteurs.

Pas du tout, le label RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil) n’est pas en mesure de fournir les garanties suffisantes pour certifier que la production est bien respectueuse de l’environnement Il existe aujourd’hui de multiples labels avec à chaque fois des cahiers des charges très spécifiques, tant et si bien qu’il devient impossible pour les consommateurs de s’y retrouver.

La principale chose à faire en matière de lutte conte déforestation, c’est de faire en sorte que consommateurs ne puissent pas trouver dans leur supermarché des produits qui contribuent à la déforestation. Pour y arriver, nous devons mettre en œuvre un plan d’action sur la déforestation importée, Greenpeace le demande depuis longtemps. Il existe une stratégie nationale contre la déforestation importée. Seulement la SNDI fixe les grandes lignes, mais ce qui manque c’est un plan d’actions concrètes.

Ici vous parlez de l’huile de palme, mais nous avons identifié un autre sujet très préoccupant : le soja ! Aujourd’hui dans l’alimentation animale, notamment pour les poules et les cochons, du soja est importé en grandes quantités depuis l’Amérique Latine. Or sa production engendre beaucoup de déforestation.

Selon vous, idéalement, qui devrait être à l’avant-garde des changements de consommation que vous appelez de vos vœux : les citoyens, les agriculteurs, la foodtech, la grande distribution, les géants de l’agroalimentaire ou les pouvoirs publics ?

C’est avec l’ensemble des acteurs que nous parviendrons à faire changer les pratiques. Pour Greenpeace, les pouvoirs publics doivent agir pour encadrer les pratiques des multinationales ainsi que le monde de la finance, sauf que pour faire bouger les pouvoirs publics, il faut des mobilisations citoyennes collectives de grande ampleur ; la pression de la société civile est indispensable ! Les entreprises, les pouvoirs publics et les citoyens doivent tous agir. Concernant les géants de l’agroalimentaire, il est clair que sans une réglementation stricte et des contrôles réguliers, ils continueront de faire comme ils l’entendent. En résumé, on ne peut pas se reposer uniquement sur les géants de l’agroalimentaire…. Concernant la foodtech, cela dépend certaines entreprises sont vertueuses et d’autres le sont beaucoup moins.

Qu’attendez-vous de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) qui présente ses résultats ce week-end ?

Tout va dépendre de comment le Président de la République va reprendre les propositions. Il s’est engagé à les reprendre sans filtre, mais pour l’instant on a du mal à croire qu’il va toutes les appliquer.

Lorsque je suis intervenue dans le groupe « Se Nourrir » pour parler de la consommation de viande, j’étais notamment aux côtés de Samuel Leré de la Fondation Nicolas Hulot, qui a souligné l’importance d’encadrer les traités commerciaux, ainsi que du président de Système U, Dominique Schelcher. Pendant cette convention, nous sommes forcément satisfaits de voir que des citoyens se sont fortement impliqués, maintenant l’avenir nous dira quelle suite sera réservée à leurs travaux…

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