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Celia Rennesson (Réseau Vrac) : « La définition de la vente en vrac entre dans le code de la consommation »

Longtemps considérée comme la norme pour le commerce, la vente en vrac redevient à la mode en France. Depuis les années 80’s et parallèlement au développement du mouvement Zéro Déchet, cette habitude de consommation progresse. Consacrée par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, cette notion de « vente en vrac » nous est expliquée par la directrice de Réseau Vrac, Célia Rennesson.

Quelles sont les origines du vrac (en France) ? Comment expliquer l’engouement actuel autour du vrac ? 

Ce qu’il faut bien avoir à l’esprit, c’est que le vrac en service assisté était la norme jusqu’au XIXème siècle ; toutefois on peut dater son retour sous sa forme actuelle à partir des années 80’s. Sous sa forme actuelle, c’est à dire en libre-service, en juste quantité, avec des bacs ou des silos. Ceux-ci étaient à l’époque surtout réservés aux rayons d’épicerie sèche, tant pour des produits salés que sucrés, avant de s’étendre progressivement aux produits liquides, au non-alimentaire et même aux croquettes pour animaux.

Le vrac a d’abord été introduit dans les magasins bio, dans les magasins spécialisés vrac, et désormais on les retrouve dans de nombreuses Grandes et Moyennes Surfaces (GMS). En 2013, seulement 2 magasins étaient recensés en France ; on a véritablement assisté à un tournant en 2017, puisqu’on en dénombrait alors presque 150. Les GMS se sont équipées tour à tour de rayons vrac ; et si Auchan et ses rayons discount furent un peu des précurseurs, le vrac a depuis été repositionné sur le bio et le haut de gamme.

L’engouement actuel s’explique selon moi car le vrac se situe à un carrefour de plusieurs attentes. Et si le vrac est d’ailleurs en avance en France, c’est qu’il bénéficie d’un terreau favorable, propre à répondre à ces attentes. En effet, les commerces de bouches en service assisté, primeurs, bouchers, et autres, ont toujours continué à exister en France. Autrement dit, dans notre pays, les consommateurs ont gardé l’habitude de consommer des produits non pré-emballés, en quantité choisie. À cela s’ajoute les enjeux autour du gaspillage alimentaire (avec le succès d’applications comme To good to go ou Phoenix) et du zéro déchet. Le vrac va plus largement apporter des réponses aux enjeux environnementaux de l’alimentation. Au point que, le vrac est très souvent associé au bio, et qu’il s’agit la plupart du temps de produits non transformés, de produits bruts (des graines, des féculents…) permettant une meilleure maîtrise des ingrédients ingérés.

Par ailleurs, comme on a pu le constater lors du scandale de la viande de cheval, les consommateurs sont de plus en plus intransigeants au sujet de la traçabilité et de la santé alimentaire. Et justement, le vrac rassure : on achète le produit pour ce qu’il est, et non plus pour les promesses inscrites sur son emballage. Pour résumer, plus on cherche à mieux maîtriser sa consommation, à éviter le gaspillage, et plus on fait des économies, tandis que dans une optique Zéro Déchet, le vrac limite aussi la production de déchets.

Pensez-vous que le vrac va pleinement profiter du projet de loi sur l’économie circulaire pour se développer ? 

J’en suis convaincue, nous avons rédigé la définition de la vente en vrac dans le code de la consommation. Jusqu’à présent celui-ci portait uniquement sur des produits préemballés. Ainsi, Réseau Vrac a notamment posé pour principe que tous les produits puissent être vendus en vrac, sauf pour des motifs de santé publique. Actuellement, nous travaillons avec les autorités pour fixer cette liste par décret. La loi sur l’économie circulaire va permettre de clarifier le cadre législatif, notamment sur les notions d’hygiène.

Jusqu’à présent, Réseau Vrac proposait des standards. Désormais, nous posons clairement les bases d’un marché, avec un cadre législatif. Grâce aux amendements de la loi, les grandes surfaces de plus de 400 m2 ont l’obligation de fournir aux consommateurs des contenants réutilisables. Le vrac est donc déjà très accessible, tandis qu’on travaille aussi beaucoup avec l’Institut National de l’Origine et de la qualité (INAO), afin d’adapter les cahier des charges. À partir de maintenant, cela va prendre quelques années, mais le dispositif prévu par l’article L120-1 va s’appliquer. Et le décret qui va encadrer les produits non autorisés devrait être publié courant octobre. À la commission du développement durable, Barbara Pompili était déjà très active sur ces sujets, et cette pratique devrait donc logiquement continuer de se développer dans le cadre de la transition écologique.

Pour Nielsen, « le confinement n’aura été qu’une période entre parenthèses pour le vrac » ; vous évoquez pour votre part des difficultés pour des raisons logistiques, comment décririez-vous les défis des acteurs du Vrac pendant le COVID19 ?

Avec un périmètre de 1km pour aller faire ses courses, mécaniquement, les 465 magasins vrac en France ne pouvaient pas recevoir tous leurs clients habituels. Néanmoins, en tant qu’association professionnelle, nous avons travaillé avec notre hygiéniste dans le but d’établir des recommandations et des bonnes pratiques pour le covid. Par exemple, pour les commerçants, l’option à privilégier était la vente assistée et le refus d’accepter les contenants consommateurs pendant le confinement. Car vous vous souvenez ? Le COVID se transmet sur les surfaces inertes, en plus d’être aéroporté… Du coup, 97% des magasins ont dû se réorganiser, soit en optant pour le « click and collect », soit pour le service assisté.

De plus, les rayons vrac nécessitent beaucoup de main d’œuvre (maintenance, conseil…), et alors que certains personnels ont fait usage de leur droit de retrait, plusieurs enseignes ont préféré condamner leurs rayons vrac par manque de personnel pour s’en occuper. Parallèlement, les gens ont réduit le nombre de points de vente où ils allaient faire leurs courses. En outre, les consommateurs ont beaucoup eu recours aux achats en ligne, où l’offre en vrac n’est pas disponible. Autant d’éléments qui contredisent l’idée selon laquelle la crainte concernant l’hygiène serait la raison principale expliquant la baisse de la fréquentation des magasins vrac ; en réalité, cette raison n’apparait qu’en troisième position… Nos détracteurs ont essayé de véhiculer ce message-là, mais la chute des ventes pendant le confinement s’explique principalement par des raisons d’accessibilité et non par la crainte des acheteurs. Pendant la crise, nous avons publié avec Brune Poirson une affiche afin de diffuser les consignes sanitaires à appliquer.

Comment s’assurer que les chaines logistiques du vrac sont toujours vertueuses en matière d’environnement ? Quels sont les critères à respecter ? 

Aujourd’hui, même s’il n’existe pas de cahier des charges, nous sommes particulièrement attentifs sur 3 éléments. D’abord, il faut en revenir à la définition de la vente en vrac, qui consiste à commercialiser des « produits présentés sans emballage, en quantité choisie par le consommateur, dans des contenants réemployables ou réutilisables ». Ce que nous cherchons à faire, en lien avec le gouvernement, c’est d’agir du côté des consommateurs, afin que le vrac favorise le réemploi et le non-jetable. Certes, il existe encore des sachets vrac en papier kraft ; mais nous travaillons pour que les consommateurs intègrent la réutilisation des contenants dans leur consommation. On constate d’ailleurs une évolution des pratiques, notamment depuis l’interdiction des sacs en plastique.

Ensuite, quand on remonte la filière, dans le vrac, il reste des emballages entre le fabricant et le magasin. Concrètement, le problème se pose ainsi : comment réduire au maximum les emballages jetables entre les fabricants et les magasins ? Ou comment faire en sorte de proposer des emballages plus vertueux ? On a recensé au sein de l’association les pratiques existantes, il s’avère qu’il existe déjà de nombreuses solutions, pour les biscuits, les pots de yaourt, ou même pour le café…Lorsque les magasins et les fournisseurs travaillent à réduire les déchets des emballages amont, on arrive à un modèle assez vertueux. Cela se décline par une multitude d’actions très concrètes, avec des grands sacs qui sont fabriqués à partir de coton bio pour le café, ou encore la réutilisation de sceaux pour livrer les biscuits. Malgré cela, il reste encore beaucoup d’emballages amont non réutilisables car les initiatives qui foncrtionnent sont surtout au niveau local.

Localement, à l’échelle des territoires, on a donc des pratiques assez vertueuses, on arrive à installer une supply chain Zero Déchet ; en revanche, nous avons identifié une problématique au niveau national. En effet, on ne va pas faire traverser toute la France à des emballages vides ! Nous réfléchissons actuellement à ces enjeux afin d’optimiser les circuits. Il s’agirait par exemple de re-circulariser les emballages amont entre fabricant et magasin : comment mettre en connexion les magasins, les logisticiens et les tunnels de lavages ? D’ici la fin de l’année, nous prévoyons de tester la circularisation des emballages à l’échelle du territoire de l’Ile-de-France. Nous aurons alors des indications précises afin de déterminer l’engagement des acteurs, les distances optimales à respecter, et le modèle économique à associer.

Les initiatives se multiplient aussi en Europe ?

Il n’y a pas d’équivalent de Réseau Vrac ailleurs en Europe et dans le monde à ma connaissance, et on peut dire que la France est en avance sur le développement de la vente en vrac. L’association cofondée en 2016 avait pour objectif de structurer et développer le marché, en se donnant les moyens d’avoir une organisation professionnelle. Depuis, on a pu accompagner de nombreux porteurs de projets et professionnels. C’est ainsi qu’on a réussi à augmenter de manière drastique le vrac. Pour rappel, fin 2015 il existait environ 20 boutiques en France. Avec la création de Réseau Vrac en 2016, on a multiplié les formations, et en 2018 on dénombrait alors près de 240 points de vente ; en 2020, on en compte maintenant plus de 465 en France métropolitaine.

Avec cette structure, nous avons avant tout cherché à combler les vides législatifs, nous avons même su mener une opération de plaidoyer, pour autoriser la vente de l’huile d’olive en vrac sous certaines conditions. En France, nous sommes le seul pays à avoir des chaines 100% vrac comme « Day by Day », « Mademoiselle Vrac » et d’autres qui se développent ce qui tire évidemment le marché. Bien sûr, nous cherchons à accompagner nos partenaires européens, Réseau Vrac a été lancée en Belgique, où le marché n’est pas aussi mature qu’en France, mais présente néanmoins d’intéressantes perspectives de développement. Plus largement, c’est une tendance émergente dans de nombreux pays comme en Allemagne, en Grande-Bretagne, mais aussi en Canada… Comme pour le mouvement « slow food » en Italie, notre objectif est d’amener toujours plus de monde aux avantages du vrac.

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