David le Douarin

David Le Douarin (Advalo) : « Plus on est proche du besoin consommateur, plus on oublie le marketing »

Pour David Le Douarin, co-fondateur de la plateforme Advalo, le marketing personnalisé offre aux retailers la possibilité de répondre efficacement aux besoins des consommateurs à un moment t. Il revient, à travers une interview exclusive pour Actu Retail, sur l’évolution du marketing et sur l’essor de la personnalisation dans les rapports entreprises-consommateurs, sous le prisme de la crise économique.

Comment le marketing a-t-il évolué vers une relation individualisée et de quelle façon Advalo change-t-elle la donne ?

David Le Douarin : Olivier Marc (co-fondateur d’Advalo) et moi-même avons fait une simple observation : les retailers constataient des baisses de trafic significatives en magasin. Comment faire pour générer plus de trafic ? L’une des réponses de ces retailers, la plus maladroite à notre sens, a été d’avoir recours au marketing de masse. Des centaines d’e-mails envoyés à leurs clients qui ont fini directement dans la case « spams ». D’une façon générale, ils ont essayé de trouver des moyens pour avoir beaucoup de trafic, considérant qu’il fallait « pousser », en ayant recours à un marketing de masse, qui est, par nature, assez polluant et intrusif. L’autre réponse a été de faire appel à un marketing promotionnel. Les retailers ont estimé, de façon inconsidérée, qu’il fallait ajouter de la promotion pour augmenter le trafic. Je pense, qu’en tant que consommateur, nous sommes tous « biberonnés » à des -30 %, -40 %, et cela a complètement remis en cause le modèle économique du retailer.

Chez Advalo, nous proposons une troisième réponse pour permettre aux retailers de sortir de ces modèles peu efficaces, et les orienter vers le marketing individualisé, véritable métier du commerçant. Grâce au marketing individualisé, il est possible de comprendre qui il a en face de lui et quels sont les bons produits pour déclencher l’acte d’achat au bon moment. Notre plateforme de data permet de récolter la donnée d’un consommateur et de savoir ce dont il a besoin ou ce dont il pourrait avoir prochainement besoin, dans le but de l’amener à acheter sur un site d’e-commerce ou en magasin physique.

Mais Advalo ne fait pas qu’agréger les datas online et offline, nous y ajoutons aussi de la valeur. Nous englobons les données brutes pour les traiter avec des modèles prédictifs. Une intelligence artificielle va permettre de prédire un besoin futur du consommateur. Le marketing prédictif, utilisé par Advalo, permet de nous dire à tout moment, que tel ou tel client à une intention d’achat sur un canapé par exemple, qu’un autre client est en train de quitter l’enseigne, qu’un autre est venu à la dernière saison, mais pas cette fois-ci etc… Il faut donc trouver le bon produit qui va leur donner envie de passer dans les magasins. Nous sommes capables, grâce à une cinquantaine de modèles prédictifs, de dire aux marketeurs quels sont les clients qui sont en ce moment « chauds », qui sont ceux qui ne viennent plus et quels sont les sujets qui vont les stimuler pour faire en sorte qu’ils viennent prochainement en magasin. Le marketing prédictif va permettre de calculer cet ensemble et en parallèle, nous allons envoyer ces données à Google et Facebook, pour produire un marketing qui va être entièrement personnalisé, individualisé. Notre plateforme va permettre l’envoi d’un mail différent en fonction de chaque consommateur. À cet effet, nous allons personnaliser la relation de façon pérenne tout en facilitant la vie des retailers grâce à l’administration de ce processus.

Comment a évolué le comportement du consommateur ? Comment a-t-il modifié les pratiques du marketing et des retailers ?

D.L : La compréhension du consommateur est le point de départ du marketing. Pour ce faire, il faut posséder de la donnée sur qui il est, ce qu’il a pu acheter dans le passé et surtout, savoir ce à quoi il s’intéresse aujourd’hui pour essayer de lui proposer des choses pertinentes dans le futur.

Selon moi, il faut prendre en compte deux éléments clé :

1/ Savoir qui il est et ce qu’il a acheté dans le passé : ces données sont facilement identifiables grâce aux systèmes de caisse. Il est possible de les récolter lorsqu’on renseigne son nom, prénom mail…Nous faisons partie intégrante de la base de données CRM [Customer Relationship Management ou gestion de la relation client, ndlr] du magasin. Le retailer se sert assez bien de ces données pour connaître les achats antérieurs d’un client.

2/ Là où le bât blesse, c’est qu’il semble plus complexe d’analyser le parcours d’achat d’un consommateur qui se dirige sur le site e-commerce du retailer, avant d’aller acheter en magasin physique. Le consommateur, qui ne s’identifie pas sur le site, ne laisse aucune coordonnée. Il va simplement regarder le produit en question, voir éventuellement s’il y a du stock en magasin pour pouvoir se déplacer. Cette donnée chaude (site internet) est moins traçable. Si nous faisons un tour sur le site d’un magasin, c’est qu’a priori, nous avons développé une intention d’achat à court terme. Il faut donc être capable de collecter cette donnée-là et la mettre en corrélation avec ce que nous avons fait dans le passé (la donnée froide). Si vous avez acheté une robe il y a trois mois chez un retailer, par exemple, et que vous vous trouvez aujourd’hui être intéressée par un pull, l’enjeu sera d’anticiper votre prochain achat grâce à ces deux éléments. Advalo a cette particularité de collecter ces données (froides et chaudes) pour obtenir une data fiable, capable de faire parler le passé et de prédire le futur intérêt du consommateur.

De quelle manière la personnalisation du marketing peut-elle optimiser des stratégies cross-canal ? 

D.L : En réalité, lorsqu’un retailer a une base clients, on constate qu’elle réagit aujourd’hui de moins en moins à ses e-mails. Si on fait le calcul, on se rend compte que sur 100 clients en base, il y a plus ou moins 10 % -seulement-, qui ouvrent les e-mails envoyés. Autrement dit, 90 % des gens n’ouvrent plus leurs e-mails. Il y a donc une absolue nécessité d’aller parler à cette part de clients.

Fort heureusement, d’autres canaux existent. C’est à ce moment-là que l’omnicanalité amène de la valeur. Je vais passer par des campagnes personnalisées via Google, Facebook ou Criteo [spécialisé dans le reciblage publicitaire sur Internet, ndlr] pour m’adresser à ces 90 % et m’assurer qu’ils continuent à voir ma marque, même s’ils n’ouvrent plus leurs e-mails. Grâce à l’omnicanalité, je vais pouvoir toucher le consommateur partout où il va préparer l’ensemble de son parcours d’achat. Au lieu de me contenter uniquement de la donnée froide – celle du magasin – je vais regarder et la donnée du magasin et celle du site e-commerce. Cette complémentarité magasin/e-commerce va finalement nous donner la vue la plus fidèle des besoins du consommateur à un instant T.

Dans cette stratégie omnicanale, le digital fait la part belle à la relation humaine, il est en complète synergie avec ce que doit faire un vendeur en magasin. Il faut être capable d’harmoniser l’ensemble des stratégies et entretenir les contacts que l’on va avoir avec un consommateur, tant sur le plan digital que physique. Et cette réponse digitale a toute sa pertinence puisque nous consommons des médias tous les jours.

Quels sont les bénéfices/avantages pour les entreprises et les consommateurs ? 

D.L : Pour le consommateur c’est assez simple. Je ne sais pas si cela vous est arrivé de rentrer dans un magasin une dizaine de fois et faire l’expérience suivante : la première fois, l’équipe ne vous connaît pas, la seconde fois elle vous connaît un peu plus, et la troisième fois, elle vous dit bonjour, et vous appelle par votre prénom et vous demande si l’article vous a plu. En somme, une vraie relation se crée. Si une bonne relation s’installe, il y a fort à parier que vous retournerez dans ce magasin. Des deux côtés, l’individualisation de la relation -et surtout de la relation marketing que l’on a avec le consommateur- offre de nombreux avantages : plus on est proche du besoin consommateur, plus on oublie le marketing. Si je refais mon jardin chez Leroy Merlin et que je souhaite acquérir un abri de jardin, et que le magasin me donne des informations sur cet abri, d’un point de vue client, il ne s’agira pas de marketing mais d’un service. En bref, plus le retailer sera proche des besoins du consommateur, plus son marketing sera, non seulement efficace, parce qu’il vient chercher le consommateur sur ce qui l’intéresse, et plus il sera invisible, perçu comme un service par le consommateur lui-même.

L’entreprise est capable, en termes de retour sur investissement (ROI), de générer de 2 à 4% de chiffre d’affaires en plus, sur l’ensemble de son chiffre d’affaires. L’individualisation amène à la fois du bénéfice consommateur -en étant mieux traité et accompagné- et de la performance commerciale du côté du retailer.

Sur un temps long, la stratégie d’individualisation permet de fidéliser le client. Nous travaillons, par exemple, depuis 2015 avec le groupe Beaumanoir [un groupe de distribution de prêt-à-porter et de logistique, ndlr] qui a constaté une amélioration de la valeur client (c’est-à-dire de la dépense par client sur leur base de données) d’année en année. Ils se sont rendu compte qu’à travers un marketing plus individualisé, ils savaient développer la valeur client qui implique, par individu, une dépense supplémentaire.

En quoi l’exemple de But (enseigne d’ameublement) est-il représentatif de votre travail ?

D.L : But est un bon exemple en termes de performances commerciales et de transformation interne de l’entreprise. Les choses se sont facilement posées : ils ont 80 millions de visites sur leur site internet tous les ans, dont 4 millions de clients qui viennent véritablement acheter en magasin ou en e-commerce. Il y a donc 76 millions de clients potentiels qui ont eu à un moment donné un intérêt sur des produits commercialisés par la marque, mais cet intérêt n’a pas été converti, ou en tout cas, pas chez But.

La problématique posée par Thierry Lernon, Directeur Général de BUT pour le marketing, l’expérience client, la data et le e-commerce, est la suivante : comment identifier, parmi les 76 millions d’individus, ceux qui ont potentiellement toujours un intérêt et que l’on va pouvoir travailler de façon particulière en terme de marketing pour les amener jusqu’à la conversion ? Grâce à la solution Advalo, l’enseigne a généré, en l’espace de six mois, 1 % d’incrémental [supplémentaire, ndlr] de chiffre d’affaires, sur un chiffre d’affaires global d’1 milliard d’euros.

Au niveau de l’expertise marketing, ce cas montre que l’on sait générer de la performance commerciale. Et pas seulement. L’entreprise a subi de grosses évolutions en interne. L’équipe CRM, qui envoyait des e-mails, des courriers, des catalogues, etc. ne communiquait pas ou peu avec l’équipe du digital qui faisait tourner le site e-commerce et qui achetait des campagnes sur Facebook, Google et les autres médias. Le fait de leur amener une plateforme qui les pousse à l’omnicanalité a permis la rencontre de ces deux pôles, qui se complètent puisqu’il s’agit du même consommateur, qu’il soit sur Facebook, le site de But ou dans le magasin. Cette collaboration en interne, impulsée par Advalo, a permis de faire évoluer l’entreprise.

Ce cas est d’autant plus marquant puisque l’enseigne doit gérer des parcours d’achat différents. On peut se rendre dans un magasin But pour acheter des petits objets comme des plus gros, et cela aura un impact sur les parcours d’achat qui seront soit très courts, soit plus longs. L’achat d’une cuisine, par exemple, implique plusieurs semaines de réflexion. Il faut donc savoir s’adapter aux différents enjeux de l’enseigne : les petits produits, assez peu engageants ou bien les gros, plus engageants comme peut l’être une cuisine. Pour les clients, acheter une cuisine représente un vrai achat engageant. Il faut donc être capable d’accompagner le consommateur pendant les 40 jours de délais de réflexion du démarrage du projet de cuisine.

Ce cas nous a notamment permis de convaincre des enseignes telle que Leroy Merlin, avec laquelle nous venons de démarrer une collaboration et qui a des enjeux similaires.

De quelles façons la crise actuelle a-t-elle rebattu les cartes en matière de marketing ? Et quels enseignements en avez-vous tirés ?  

D.L : La crise a rebattu les cartes de deux façons à mon sens :

1/ La crise a fait mal au portefeuille des enseignes, les magasins étant fermés, donc pas de chiffre d’affaires, très peu de revenus. Le premier sujet a été de dire qu’on ne peut plus avoir un marketing de masse, trop cher. Les coûts d’acquisition d’une campagne sur Facebook sont de plus en plus élevés. Il n’est donc plus possible de dépenser pour tout le monde, tout le temps, et il devient essentiel de choisir pertinemment l’attribution du budget pour le meilleur retour sur investissement. Advalo apporte cette capacité à mieux cibler des individus qui a priori vont être les plus réactifs. La solution permet de dépenser moins, tout en gardant le même niveau d’efficacité. 

2/ Beaucoup d’enseignes répondent à une crise en faisant encore plus de promotions et encore plus de mails, les desservant en tout point. Plus je vais recevoir d’e-mails, moins je vais avoir envie de les lire, donc je vais très vite les mettre dans la boite de « spams », et on perd, au passage, des clients potentiels. Plus on habitue les clients à consommer à -30 %, -40 %, plus la perception d’une marque va être dégradée. Finalement, le client peut considérer qu’aller acheter la marque plein pot ne vaut plus la peine puisque cette dernière est tout le temps en solde. Il va donc attendre les prochaines promotions.

L’une des missions d’Advalo est d’aider les enseignes à sortir de cette spirale qui est en train de les enfoncer en termes de relation client et de marge. Le vrai changement, c’est d’arriver à aboutir à cette transition.

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