Ostiane Courroye

Ostiane Courroye (Fondation Casino) : quand un acteur de la distribution mise sur l’éducation par le théâtre

Dans son livre anniversaire, la Fondation Casino revient sur dix années d’existence et d’actions menées en faveur de l’inclusion culturelle des jeunes publics. Ostiane Courroye, déléguée générale de la Fondation, répond aux questions d’Actu Retail pour comprendre comment un acteur de la grande distribution entend contribuer, en favorisant la pratique du théâtre, à une société plus égale et apaisée.

Votre fondation existe maintenant depuis plus de dix ans. Quelles en sont les missions et les actions phares ?

Ostiane Courroye : Depuis le départ, la mission de la Fondation est d’aider les enfants en se centrant sur un volet éducatif, afin de prévenir l’exclusion culturelle. Nous avons constaté un grand manque, pour beaucoup d’enfants et d’adolescents, lié à la difficulté d’accéder à la culture et aux lieux artistiques. Cet accès est pourtant déterminant dans leur réussite à l’école. Et nous avons rapidement identifié une discipline artistique, le théâtre, qui présente des atouts extraordinaires pour favoriser l’acquisition de connaissances. La Fondation s’est ainsi positionnée sur ce champ-là et fête aujourd’hui ses dix ans d’éducation par le théâtre.

Nos actions sont désormais structurées autour de deux grands pôles : scolaire et hors scolaire. S’agissant du pôle scolaire, nous avons monté un programme avec l’éducation nationale pour soutenir des projets d’éducation artistique et culturelle à l’école. Celui-ci se déploie dans les réseaux de l’éducation prioritaire. C’est assez innovant qu’une fondation finance de tels projets. Après une première expérimentation entre 2011 et 2014, ce programme nommé « Artistes à l’école » s’est pérennisé et s’est centré sur l’art théâtral. Nous l’avons structuré dès 2011 en collaboration avec les équipes du Théâtre de l’Odéon, avec lesquelles nous sommes toujours partenaires.

Nous avons effectué, en 2020, une étude d’impact sur les établissements scolaires concernés par le dispositif. Il en ressort que celui-ci bénéficie non seulement aux élèves impliqués dans le projet, mais également aux enseignants et à la réputation de l’établissement en général : il permet de changer le regard du quartier et des parents sur le collège ou le lycée de leurs enfants. Le programme engage en moyenne entre 1 000 et 2 000 élèves à chaque promotion.

En ce qui concerne notre pôle hors scolaire, nous travaillons avec des associations qui prennent en charge les jeunes en dehors de l’école et les réunissent autour d’un projet théâtral. Ce programme s’appelle « Tous en scène » et permet d’impliquer les collaborateurs volontaires du groupe Casino.

La Fondation organise dans ce cadre une opération solidaire, déployée depuis 2015. Une fois par an, pendant une période donnée, les enseignes du groupe Casino (Géant Casino, Casino Supermarchés, Franprix, Petit Casino, Spar, Vival, Cdiscount…) collectent des fonds en magasin au travers de dons en caisse, de produits « partage », de ventes de tartes ou de brioches au kilomètre… L’idée est d’offrir une animation en magasin permettant de faire participer les clients à cette action solidaire. Les sommes récoltées sont versées directement à l’une des deux associations vers lesquelles nous orientons nos enseignes (Apprentis d’Auteuil et L’Envol, pour leur permettre de financer et développer leurs activités théâtrales). En moyenne, nous rassemblons 100 000 euros par an, répartis entre les deux associations selon le choix de chaque enseigne.

Nous souhaitons, d’ailleurs, développer l’implication de nos collaborateurs auprès de ces deux associations. Nous avons déjà de très belles expériences, par exemple à Bordeaux : le siège de Cdiscount se situe à dix kilomètres d’un établissement d’Apprentis d’Auteuil, ce qui nous a permis d’accueillir des jeunes à plusieurs reprises dans nos locaux et d’organiser des sessions d’improvisation théâtrale, avec nos collaborateurs. De la même manière, en Savoie, des jeunes d’Apprentis d’Auteuil sont venus jouer dans la galerie marchande de l’hypermarché Géant Casino d’Albertville.

Pourquoi un acteur de la grande distribution, tel que le groupe Casino, a souhaité s’investir de cette façon au service de la société ? En quoi est-ce cohérent avec votre métier de commerçant ?

Ostiane Courroye : Ce choix est en cohérence avec les engagements historiques du groupe Casino, contre l’exclusion des jeunes. Lorsque la Fondation a été créée, il y a dix ans, le président-directeur général du groupe Jean-Charles Naouri a souhaité qu’elle porte une action forte dans le domaine de l’égalité des chances. Nous nous sommes demandés ce que nous pouvions faire en plus du soutien à des associations déjà existantes et dont les projets sont remarquables.

Aujourd’hui, nous sommes fiers de porter des actions en accord avec les valeurs du groupe, en aidant des jeunes méritants et volontaires qui n’ont pas accès à la culture. Nous nous inscrivons pleinement dans l’ADN du groupe Casino, qui accueille des jeunes en alternance et leur permet de gravir les échelons. L’enjeu est de permettre aux jeunes de s’épanouir, de trouver leur voie et le théâtre est un excellent moyen de les aider à ouvrir ces portes-là.

Vous développez par ailleurs un programme d’engagement bénévole à destination de vos collaborateurs. De quoi s’agit-il ?

Ostiane Courroye : Le groupe a toujours souhaité encourager l’engagement sous toutes ses formes. Il existe de nombreuses initiatives, en interne, pour soutenir les aidants, les personnes atteintes d’un handicap… Nous avons voulu aller plus loin et avons proposé que la Fondation porte un dispositif encourageant les collaborateurs à s’engager bénévolement. Si le bénévolat est par nature hors des horaires de travail, l’entreprise a souhaité promouvoir cette dynamique étant convaincue des bénéfices de l’engagement. C’est une manière de s’enrichir humainement, de découvrir d’autres horizons et d’ouvrir son réseau. Cela contribue au bien-être de la personne et, par extension, au bien-être au travail.

Le dispositif, mis en place en 2016, ne se limite pas au monde du théâtre mais est ouvert à toutes les associations partenaires de la Fondation et du groupe en général. Par exemple, les Banques alimentaires sont des partenaires importants du groupe. Nos enseignes les soutiennent par des dons réguliers, notamment d’invendus encore propres à la consommation. Ce partenariat implique une aide alimentaire, financière et humaine : chaque année, au moment de la grande collecte des Banques alimentaires en novembre, nos enseignes libèrent des collaborateurs, deux ou trois heures, afin qu’ils puissent y prendre part. Certains collaborateurs se sont même engagés pour la Banque alimentaire de leur département, sur une base plus régulière, pour l’aider par exemple à développer son système informatique.

Le maillage territorial et la proximité que représentent les points de vente d’un acteur de la grande distribution constituent-ils des atouts décisifs, afin de développer les activités de votre fondation ?

Ostiane Courroye : Oui, clairement. C’est une volonté de Jean-Charles Naouri : s’il a souhaité créer une fondation, c’est aussi pour que les magasins et les collaborateurs y participent. Nous tenons à impliquer tout le monde. Les magasins ont cette force d’être en contact permanent avec les populations locales. Nous bénéficions, de ce point de vue, d’un appui extrêmement fort. Ponctuellement, lorsque nous menons un projet à proximité d’un magasin, nous avons la possibilité de concevoir des synergies. Ce qui est intéressant avec une fondation d’entreprise, c’est qu’elle est complètement adaptée à la structure de l’organisation qui la porte.

Vous étiez présente dès la création de la Fondation. Comment évaluez-vous le chemin parcouru jusqu’ici ?

Ostiane Courroye : Nous ressentons une certaine fierté. Nous n’imaginions pas, il y a dix ans, construire un tel chemin. La feuille était blanche et a pris de l’ampleur grâce à l’énergie de tous. Cette fondation est portée par les collaborateurs, les enseignes et tous ceux qui sont auprès des jeunes au quotidien : enseignants, animateurs et artistes. C’est une aventure humaine exceptionnelle. Maintenant, nous ne sommes qu’une goutte d’eau dans l’océan de ce qu’il reste à faire, pour aider les enfants en situation de décrochage scolaire ou ceux qui ne parviennent pas à s’intégrer dans leur environnement.

Comment voyez-vous les prochains mois, les prochaines années ? La situation sanitaire, particulièrement rude pour les milieux culturels, marque-t-elle un coup d’arrêt dans vos objectifs ?

Ostiane Courroye : Non, cela ne marque pas de coup d’arrêt dans nos activités. Bien sûr, la situation est très compliquée pour les milieux culturels en général, et les théâtres en particulier. Mais les artistes sont incroyablement créatifs : tous nos projets ont pu continuer grâce à eux. Dans les établissements scolaires, ils ont beaucoup travaillé avec les équipes enseignantes pour maintenir le lien avec les jeunes, y compris en période de confinement total. Tout ce qui était prévu au théâtre, et qui de fait ne peut pas avoir lieu, est organisé dans les écoles. Les spectacles sont différents mais les artistes jouent le jeu : au lieu de produire toute une pièce, de petites saynètes sont montées et suivies de temps d’échanges.

Le rôle de la Fondation est de mettre en avant la mission éducative des théâtres. Cette mission est mal connue, le théâtre étant plutôt assimilé à un lieu de consommation et de divertissement. Tout notre travail éducatif se poursuit et se réinvente continuellement. Il n’y aucune raison pour que nous arrêtions, tout en espérant que les théâtres puissent rouvrir bientôt.

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