Lionel Germain (Kantar) : les quatre profils de consommateurs post-Covid

Dans une étude réalisée au printemps 2021 sur un échantillon de 25 000 consommateurs, en France, au Royaume-Uni et en Espagne, Kantar a défini quatre profils de shoppers post-pandémie. Lionel Germain, Global Premium Solutions Director au sein de la Worldpanel Division de Kantar, livre pour Actu Retail les points saillants de cette enquête.

Pourquoi avoir souhaité conduire cette étude ?

Lionel Germain : Ce que nous connaissons depuis un an et demi est sans précédent. La fermeture des magasins et les contraintes sur les comportements d’achat ont modifié, de façon mécanique, les habitudes des individus. Le confinement à domicile a fait exploser les dépenses en produits de grande consommation (PGC) et a entraîné un fort développement du canal online. En parallèle, la perception des consommateurs a évolué : ce qui est important ou non à leurs yeux a profondément changé. Certains souhaitent aujourd’hui privilégier les commerces de proximité, afin de les soutenir. D’autres subissent une réduction substantielle de leurs revenus et font davantage attention à leurs dépenses.

Le constat de départ est le suivant : ce que nous avons vécu est complètement nouveau et va laisser une empreinte durable. Notre objectif a été de comprendre ce qui s’est passé et d’avoir une vision macro pour saisir, en résumé, qui s’en sort plutôt bien et qui, au contraire, a vraiment souffert de la situation. Une telle compréhension permet de cerner quels vont être les enjeux à venir pour les marques et les distributeurs, au travers d’une vision et d’une photographie globale. L’étude peut également avoir un intérêt en lien avec un sujet d’actualité majeur pour les industriels : la hausse du prix des matières premières et son impact sur le prix des PGC.

Votre étude a été conduite sur le périmètre de trois pays, à savoir la France, l’Espagne et le Royaume-Uni. Quelles sont les tendances communes aux trois pays ? Et, réciproquement, quelles sont les spécificités propres à la France ?

Lionel Germain : Les trois pays ont tous été marqués par une augmentation des dépenses en PGC et par un développement du online. Concrètement, le marché des PGC a augmenté de 12 % au Royaume-Uni et de 8 % en France et en Espagne. Pour le online, nous avons constaté une hausse à la fois du niveau moyen de dépense et de la fréquence des achats. Deux inquiétudes principales sont par ailleurs partagées. La première relative à la santé, pour soi-même et pour son entourage. Et la seconde portant sur la situation économique de son pays. Des changements d’habitude ont été observés partout, de sorte que plus de la moitié des consommateurs ont l’intention de continuer à modifier leurs comportements d’achat.

Le niveau d’optimisme à long terme est en revanche élevé au Royaume-Uni (73 %) et en Espagne (69 %), là où il n’est que de 47 % en France. Ce décrochage se retrouve également dans les réponses à la question : « les choses vont-elles bien se passer pour vous au bout du compte ? ». Plus de 8 sondés sur 10 répondent par l’affirmative au Royaume-Uni et en Espagne, contre moins de la moitié en France. Cela peut paraître surprenant, car la France fait partie des pays où les niveaux de soutien ont été parmi les plus élevés pendant la crise. Les impacts négatifs réels sur la situation socioprofessionnelle et sur les revenus sont moindres en France que dans les autres pays.

C’est probablement un aspect culturel qui explique, malgré tout, le recul de l’optimisme dans notre pays. Il y a également un enjeu de projection, puisque les craintes sur une diminution des revenus à l’avenir sont plus marquées en France qu’ailleurs. Cette inquiétude est nourrie, certainement, par la perspective d’un arrêt progressif des mécanismes de soutien déployés par le gouvernement français. D’après la littérature économique, le contrecoup de la crise devrait intervenir plus tardivement en France. Ainsi, un tiers des foyers français s’attend à une diminution de ses revenus dans l’année à venir. Dans les autres pays, cette proportion s’établit plutôt à un quart.

Autre différence, cette fois-ci sur les critères que les individus prennent en compte pour guider leurs achats. La notion de plaisir prédomine au Royaume-Uni et en Espagne. En France, la préoccupation du prix sera pour sa part renforcée, en lien avec les craintes précédemment mentionnées.

Quels sont les quatre profils de consommateurs que vous identifiez dans votre étude ? Comment les caractérisez-vous ?

Lionel Germain : Si l’on détaille les profils des moins aux plus à risque, le premier est celui des « préservés ». Celui-ci est très majoritairement constitué de retraités. Il s’agit plutôt de foyers de taille réduite et d’individus dont les revenus sont confortables. La situation socioprofessionnelle de ces consommateurs n’a pas été affectée par la crise sanitaire, n’ayant ni connu le chômage ni perdu de pouvoir d’achat. Ces personnes ont l’intention de changer leurs habitudes (pour environ 50 % d’entre elles) de façon qualitative, dans le but notamment de soutenir l’économie locale. Elles ont globalement confiance dans les marques.

Le second groupe est celui des « pragmatiques », composé principalement d’actifs, de jeunes et de familles. Les classes moyennes supérieures et aisées sont surreprésentées en son sein. Ce profil n’est donc pas, là non plus, marqué par de fortes contraintes budgétaires et a été relativement préservé par la crise. Pour autant, ces individus n’affichent pas le niveau d’optimisme auquel nous pourrions nous attendre. Sans être totalement pessimistes, ils sont traversés par une forme de « mouais ».

Ensuite viennent les « combatifs ». Leur profil est proche des « pragmatiques », avec cinq ou dix ans de moins. Ils rassemblent donc également des actifs, des jeunes et des familles, à la différence que leurs revenus sont proches de la moyenne. Ces personnes ont été plus impactées par la crise, à hauteur d’un quart d’entre elles. Elles sont également un quart à estimer que les difficultés ne sont pas terminées et que d’autres changements sont à prévoir dans leur situation socioprofessionnelle. Malgré tout, ce groupe est hyper optimiste. Il a confiance en l’avenir et estime que le cours de la vie va bien se dérouler, bien que des obstacles persistent. Ce n’est pas le groupe le plus représenté en France (15 % des sondés), à l’inverse des « pragmatiques » (33 %). Les changements d’habitude vont être tiraillés entre le local et le prix.

Enfin, les « vulnérables » croisent des actifs, des personnes sans emploi et des retraités. Il n’y a pas d’atypisme au niveau de l’âge, mais une légère surreprésentation de foyers avec famille et avec des revenus modestes. Il s’agit du groupe le plus exposé à la crise : un tiers de ces consommateurs ont vécu un impact sur leur situation socioprofessionnelle. Près de la moitié d’entre eux ont subi une baisse de leurs revenus. Un tiers également s’attend encore à un changement en termes de situation socioprofessionnelle et de diminution de revenus à l’avenir. C’est le profil le plus en danger, pour lequel le pessimisme prévaut (seul un tiers est optimiste à long terme). Les intentions de modification de comportement d’achat sont très axées sur le prix.

En quoi la compréhension de ces profils peut constituer un levier stratégique pour les marques et les distributeurs ?

Lionel Germain : Ce qui est intéressant, pour une enseigne ou pour une marque, c’est de regarder comment se répartissent ces quatre profils au sein de sa clientèle. Quel groupe est sous-représenté, surreprésenté ? Quels sont ses attentes ? Quelles actions mettre en place afin de l’engager sur le long terme ? Si la clientèle d’une enseigne est surtout représentée par les « vulnérables » et les « combatifs », l’accent devra alors être porté sur des offres attractives d’un point de vue prix. S’il s’agit des deux autres groupes, il faudra au contraire investir le champ de promesses plus locales et qualitatives.

Donnons un exemple issu du marché de la bière, avec deux marques au positionnement similaire. Nous avons remarqué que l’une d’entre elles surreprésente les « vulnérables » et l’autre les « pragmatiques ». Or, le profil sociodémographique de la première rassemble moins d’individus aux revenus modestes que la seconde – ce qui est plutôt contre-intuitif. 

L’enjeu pour cette première marque est donc de consolider sa position auprès du groupe des « vulnérables », en activant le levier de la promotion et en étant référencée auprès des discounters, tout en réfléchissant à la façon dont elle peut capter plus de « pragmatiques ». Prendre conscience de ces changements, aussi liés à de nouvelles habitudes comme le télétravail (+ 10 points entre le début de la pandémie et les projections post-Covid), permet de définir les actions importantes à mettre en œuvre.

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