Sébastien Durand (KPMG) : commerce unifié et transformation digitale

KPMG France et la Fevad ont publié la 5ème édition de leur étude consacrée à l’innovation dans le e-commerce. Au cœur des réflexions cette année : les effets de la transformation digitale sur l’emploi dans le secteur de la distribution. Sébastien Durand, directeur chez KPMG France et responsable de l’offre « commerce unifié », revient sur l’explosion de l’omnicanalité et de ses implications en matière de modèle opérationnel pour les organisations. 

Pourquoi avoir souhaité, cette année, mettre l’accent sur les ressources humaines dans votre étude ?

Sébastien Durand : C’est la 5ème édition de notre étude dédiée à l’innovation dans le e-commerce. Chaque année, nous essayons de retenir un thème en lien avec l’actualité. Nous avons souhaité, en 2021, nous orienter vers les modèles opérationnels et leurs évolutions. Cela nous semble clé aujourd’hui, plus particulièrement dans le contexte de sortie de crise sanitaire et économique. La pandémie a accéléré le besoin d’agilité en ce qui concerne les modèles opérationnels des entreprises. Depuis dix ou quinze ans, nous observons le développement des canaux e-commerce et digitaux : la crise a joué un rôle d’accélérateur, notamment auprès de toutes les organisations qui n’avaient pas encore enclenché cette transformation.

Quelles sont, précisément, les grandes dynamiques à retenir en matière de e-commerce ? La croissance du digital se poursuit-elle ou assiste-t-on à une forme de décélération ?

Sébastien Durand : Les deux années qui viennent de s’écouler ont été singulières concernant l’évolution du chiffre d’affaires du e-commerce. Mais ce n’est pas si surprenant que cela. Nous sommes toujours sur des niveaux de croissance très forts du e-commerce, avec une légère décélération qui s’est un peu amplifiée pendant la période de pandémie. Entre 2017 et 2018, le chiffre d’affaires du secteur du e-commerce a progressé de 13,4 %, puis de 11,6 % entre 2018 et 2019 et de 8,5 % entre 2019 et 2020. Nous restons sur des taux de croissance importants que beaucoup de secteurs envieraient, en frôlant les 10 %. Cela reste unique et rapide. Nous devrions revenir à la trajectoire initiale qui a été légèrement impactée ces deux dernières années, au cours desquelles la baisse des services a été fortement compensée par l’augmentation de la vente de produits en ligne.

Nous avons justement constaté ce premier trimestre, à partir de chiffres partagés par la Fevad, que la répartition produits/services au sein du secteur du e-commerce retrouve une forme de normalité. En général, les services sont supérieurs aux produits dans la composition du chiffre d’affaires du secteur, selon une logique 55 versus 45 %. Pendant la crise, au contraire, le rapport s’est inversé et les produits ont été supérieurs aux services. Nous sommes de nouveau en train d’assister à un rééquilibrage, en revenant à des ratios d’avant-crise.

Sur la question des comportements d’achat, nous citons plusieurs chiffres intéressants. Par exemple, 88 % des cyberacheteurs déclarent qu’ils vont continuer à commander sur Internet même après la réouverture des magasins. C’est-à-dire qu’une très large partie des cyberacheteurs persistera à acheter en ligne. Seuls 12 % d’entre eux comptent arrêter leurs achats digitaux. Ceux qui étaient déjà acheteurs vont, en plus, commander davantage. La tendance de fond qui s’est accélérée pendant la crise est celle du commerce unifié, qui replace le client au centre des interactions avec le distributeur. Les acheteurs s’attendent désormais à une relation et à des parcours omnicanaux, fluides et personnalisés, notamment au travers du click and collect qui a par exemple permis aux restaurateurs de rester ouverts pendant le confinement.

Si les effets entre emploi et e-commerce sont difficiles à mesurer, quelles sont vos conclusions à cet égard ? Le e-commerce est-il plutôt créateur d’emplois, en détruit-il, les modifie-t-il ?

Sébastien Durand : Le premier réflexe que l’on peut avoir est de se dire qu’il s’agit d’un sujet hautement complexe. Quand vous vous renseignez sur les études disponibles à propos du lien entre emploi et e-commerce, vous trouvez de tout et son contraire. Les chiffres sont souvent orientés et la vision globale est dominée par des vents contraires ! C’est pourquoi nous nous sommes appuyés sur les statistiques de l’Insee. En les analysant, nous avons constaté que le e-commerce est complètement intégré dans le paysage économique, social et humain en France. Nous ne sommes plus dans la situation d’il y a dix ou quinze ans, où des business units, des spin-offs voire des entreprises séparées étaient créés pour gérer cette partie e-commerce, avec des comptes de résultat bien distincts et la possibilité de calculer les emplois générés.

Aujourd’hui, beaucoup de personnes travaillent simultanément sur plusieurs canaux. Un employé, sur une même journée, va autant pouvoir servir un client en magasin selon un modèle physique qu’un autre en click and collect, venu récupérer une commande internet. À l’identique, énormément d’entreprises sont devenues omnicanales, alors que leur chiffre d’affaires relève d’un même code NAF qui n’a pas changé dans le temps. Cela n’a donc pas de sens d’essayer d’isoler de tels liens de causalité – et ce n’est de toutes façons pas possible, puisque le digital est de plus en plus complètement intégré dans les modèles opérationnels des entreprises. C’est ce qu’on explique dans notre étude, en soulignant différentes grandes phases de maturité vers des modèles opérationnels de commerce unifié.

Partant de ce constat, nous avons regardé plus spécifiquement les chiffres partagés, au global, par l’Insee s’agissant du commerce de détail. Et le nombre d’employés dans le commerce a augmenté de 14 % depuis 1998. Nous comptons donc plus d’employés en France dans le commerce qu’il y a vingt ans, malgré une société qui se digitalise de plus en plus. Il n’y a pas de perte sèche. Le bilan n’est pas négatif au global, il est au contraire positif. C’est gagnant-gagnant.

Vous écrivez que le commerce unifié profite à tous les distributeurs. Que cela signifie-t-il ? Le e-commerce ne vient-il pas percuter les distributeurs traditionnels ?

Sébastien Durand : La crise ayant mis en exergue les entreprises qui n’avaient pas suffisamment évolué ces dernières années, le e-commerce est forcément venu percuter les distributeurs traditionnels. Le digital crée de nouveaux business models et des concurrents apparaissent, sachant que certains secteurs sont beaucoup plus matures que d’autres et exposés à la concurrence numérique étrangère. Les entreprises dont le modèle est percuté sont, de toutes façons, obligées de se transformer parce que ce sont les attentes du consommateur qui dictent le métier futur du distributeur. Il faut se mettre au service du consommateur, répondre à l’évolution de ses comportements d’achat et lui fournir la meilleure expérience client possible. Et que demande-t-il aujourd’hui ? À commander en ligne, facilement, avec une expérience fluide et unifiée quel que soit le canal. Cela inclut notamment la praticité dans la livraison.

De nouveaux concurrents arrivent et mettent en danger les distributeurs traditionnels, par exemple dans les secteurs de l’IT, de la tech, des jouets, etc. Les acteurs historiques ont pour autant toute leur place dans le digital, en déployant leur propre modèle en ligne pour tirer parti de leur réseau physique et ainsi se développer sur Internet.

Un enjeu de pénurie de talents se pose, afin de répondre à l’impératif de la transformation digitale. Quelles sont les stratégies adoptées par les organisations pour surmonter l’obstacle du recrutement ?

Sébastien Durand : Il y a deux grandes familles d’initiatives. La première est d’agir sur les ressources déjà présentes dans l’entreprise. Ce sont des stratégies de upskilling et de reskilling. Celles et ceux ne travaillant, jusqu’ici, que sur du canal offline vont être accompagnés, via des cursus de formation et d’évolution, pour devenir des employés du commerce unifié. Cela leur permet d’avoir de nouvelles cordes à leur arc, en termes de relation client et de capacité à appréhender les outils numériques. Nous nous dirigeons de plus en plus vers des métiers hybrides, transverses au sein de l’entreprise et sur différents canaux.

S’agissant de l’externe, il est question de plans de recrutement, d’évolution de son image de marque pour se rendre plus attractif et chasser de nouveaux profils. C’est toute une stratégie d’attractivité de l’entreprise et de rétention de talents dans le digital et le numérique, par nature plutôt enclins à rejoindre des start-ups ou des organisations agiles, qu’il convient de mettre en place.

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