« L’e-commerce n’est pas une menace pour les magasins physiques »

Olivier Lamy (RetailSonar) : « L’e-commerce n’est pas une menace pour les magasins physiques »

Spécialiste de la prise de décisions stratégiques en matière d’emplacement, RetailSonar a publié son rapport de tendances 2022. Fondée sur l’analyse de 450 points de vente au détail de mars 2020 à octobre 2021, cette étude livre un aperçu de l’évolution du comportement des consommateurs et des performances au cours de l’année dernière. Actu Retail a pu échanger avec Olivier Lamy, directeur général délégué France de RetailSonar. 

L’explosion du e-commerce a constitué l’un des phénomènes marquants de la période de crise sanitaire. Quel regard portez-vous sur ce boom des achats en ligne ? Est-ce une menace ou une opportunité pour les magasins physiques traditionnels ?

Olivier Lamy : On a constaté ce boom, c’est clair. Il se traduit par un nombre d’achats en ligne incroyablement supérieur et par moins de déplacements. Les consommateurs ne font pas qu’acheter en ligne, puisque le click and collect s’est développé substantiellement. Cette tendance est durable et s’est probablement accélérée avec le Covid. Il faut faire avec, non de manière résignée mais en la considérant comme une opportunité. Tous ceux qui s’y sont préparés, de manière soit contrainte soit positive, ont limité les dégâts voire cartonné. Notamment grâce au click and collect. Ce sont des acteurs qui ont parfaitement saisi les synergies qu’il peut y avoir entre les différents canaux.

Pour nous, le site en ligne est un énième point de vente. Si l’on en possède cinquante, c’est le cinquante-et-unième. Et c’est un point de vente qui vient soutenir clairement le reste du réseau. On ne fait pas l’un sans l’autre. Des acteurs purement en ligne peuvent avoir du mal. Il en existe plusieurs exemples, qui ont ressenti le besoin d’ouvrir des points de vente physiques parce qu’il faut un emblème, un porte-drapeau. Il faut être vu pour prouver qu’on est là. À l’inverse, des responsables de magasin ont su gérer intelligemment leur site internet. Cela signifie que lorsque l’on se connecte, on ne se trouve pas dans un monde à part grâce au click and collect, à la livraison et à des redirections vers le magasin le plus proche.

Le symbole le plus évident de ces synergies possibles porte sur ce que l’on a appelé l’effet halo. C’est à la fois étonnant et rassurant : les ventes en ligne sont significativement plus importantes autour des magasins physiques que partout ailleurs. Tout simplement parce que le magasin incarne une présence. Quand l’on sort de chez soi ou de son travail et qu’on le voit, on se sent rassuré car on sait qu’en cas de souci en ligne je peux m’y rendre directement. Et surtout, cette présence rappelle à l’esprit du consommateur que la marque existe. L’e-commerce n’est donc pas du tout une menace, mais une évolution inéluctable qui s’avère en fin de compte plutôt bénéfique pour les magasins physiques.

Avez-vous observé d’autres changements de fond dans les comportements d’achat des consommateurs ?

Olivier Lamy : Difficile de savoir ce qui va perdurer ou non au-delà de la crise sanitaire. Mais il est vrai que les consommateurs achètent désormais de façon beaucoup plus ciblée qu’auparavant, c’est-à-dire qu’ils ne se déplacent pas pour rien. Ils se rendent dans un point de vente avec une intention et en reviennent avec quelque chose. Par ailleurs, l’achat de centre-ville a beaucoup souffert, mais cela s’inscrit dans une tendance plus générale non restreinte au contexte du Covid.

La pandémie a mis en lumière un fait important. Pour être performant, un point de vente doit en principe être entouré par d’autres sites qui fonctionnent. On les appelle voisins parfaits ou générateurs de trafic. Il peut s’agir d’autres magasins mais pas seulement, à l’instar d’une gare RER, d’un musée, d’un restaurant, etc. La pandémie s’est traduite par de nombreuses fermetures et, par conséquent, cela a entraîné des baisses de trafic pour les magasins. Pour le coup, cela n’est pas durable puisque les réouvertures ont permis en général de retrouver les niveaux de trafic antérieurs.

Paradoxalement, un concurrent est souvent un voisin parfait. Quand on veut acheter une voiture, on se rend habituellement dans la zone industrielle où se trouvent un maximum de concessionnaires. C’est aussi le cas de la rue de Rome, à Paris, en ce qui concerne les instruments de musique. De même, les hypermarchés agissent comme des locomotives en générant énormément de trafic pour les magasins avoisinants.

Autre tendance que l’on note : si vous voulez réussir et surperformer, il faut avoir des éléments « micro » au top. On ne peut plus réussir par hasard. Je pense par exemple à la commodité. Autrement dit, est-il facile de se garer ? Le client va-t-il être angoissé à l’idée de trouver une place ou le parking est-il toujours libre ? Il s’agit aussi de la visibilité. Est-ce qu’on vous voit depuis la rue ? La signalétique est-elle bonne ? Sans oublier l’accessibilité. Les cent derniers mètres représentent-ils un calvaire en termes de trafic et d’embouteillage ? C’est enfin ce qui se passe à l’intérieur du magasin. Le parcours client doit être bien conçu et éviter les irritants, tels que des allées étriquées. Y a-t-il des bornes libre-service ? Le personnel est-il avenant, bien formé ? Bref, tous ces éléments « micro » sont devenus indispensables.

De toutes les caractéristiques intrinsèques d’un magasin, vous relevez dans votre rapport que la commodité constitue le levier le plus essentiel. Comment l’expliquez-vous ?

Olivier Lamy : Le client est super exigeant. C’est quoi la commodité d’un achat en ligne ? Je m’assois, je me connecte, je choisis et je me fais livrer. Il est impossible de faire plus simple que cela. Certes, le magasin physique a pour avantage de permettre au consommateur d’essayer un produit, de le toucher, d’avoir accès à un conseil personnalisé ou bien encore de se promener et de rencontrer d’autres personnes.

Mais en termes de commodité, un point de vente traditionnel ne fera jamais aussi bien que le digital. Il faut donc que tout ce qui amène un individu à se déplacer soit des éléments favorables. Cela passe par le plaisir du parcours client, la facilité d’accès, la rapidité du passage en caisse, etc. Tous ces « plus » sont essentiels, afin de pouvoir relever le défi de la commodité imposé par l’e-commerce. Dans l’esprit du client, toute barrière potentielle doit être gommée pour qu’il se décide à prendre le temps d’un déplacement. Car il sera toujours plus commode d’acheter en ligne, sauf pour ceux qui sont absolument rétifs à Internet – mais ils ne sont plus très nombreux.

Pour que la comparaison entre le online et le magasin physique tourne à l’avantage de ce dernier, il doit être agréable. Si vous êtes dans une croissanterie et que vous avez l’odeur du pain sortant du four, vous n’allez pas l’acheter en ligne. Il est essentiel que la commodité du point de vente traditionnel soit idéale : je trouve l’enseigne d’un coup d’œil, je me gare sans difficulté, j’achète sans file d’attente et, surtout, c’est agréable. Et cela dope les achats d’impulsion, par nature difficiles à susciter derrière un ordinateur.

Vous soulignez également une forme de revanche, ces derniers mois, des petites villes sur les grandes. Comment caractérisez-vous ce retour en force ?

Olivier Lamy : On constate en effet que les grandes villes ont plus souffert que les petites. Les trafics d’achat ont été beaucoup plus réduits dans les centres urbains que dans les espaces périphériques. Peut-être y a-t-il davantage de locomotives dans les grandes villes qui ont été à l’arrêt, comme les zones touristiques, ce qui a démultiplié les effets d’entraînement. On peut aussi se demander si les autorités locales des petites villes n’ont pas mieux réagi, grâce à des stratégies de communication ciblées et des mécanismes de soutien envers leurs commerçants.

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