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[Tribune] Bien-être animal : plus qu’un combat de société, un enjeu pour notre économie

Tribune libre d’Hervé Diaz, Président de l’École de commerce Lyon

La récente échéance présidentielle a révélé la place inédite qu’occupe la condition animale dans nos débats de société. Mais au-delà de sa dimension éthique, le bien-être des animaux revêt un enjeu économique et commercial dont nous devons collectivement nous saisir. Par Hervé Diaz, président d’un établissement d’enseignement supérieur français (École de Commerce de Lyon).

69 %. Tel est le pourcentage de Français convaincus de l’importance de l’enjeu du bien-être animal, estimant qu’il mérite d’être abordé au même titre que l’écologie, la sécurité, l’économie ou le pouvoir d’achat selon un sondage Ifop de février dernier. C’est dire le poids exceptionnel qu’occupe désormais ce thème dans les préoccupations de la population, lui assurant un caractère incontournable dans les actions à conduire par le président nouvellement réélu.

Un sujet installé dans l’opinion à la faveur de la présidentielle

À ne pas s’y méprendre, la quasi-totalité des formations politiques ont intégré la condition animale dans leur programme pour la récente course à l’Élysée. Des candidats, à l’instar de Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon, en sont même venus à y consacrer des chapitres entiers de leur projet pour la France. Le Parti animaliste a, pour sa part, présenté pour la première fois une candidate en investissant l’avocate Hélène Thouy. Sans être parvenue à recueillir les 500 parrainages nécessaires, elle a contribué à renforcer la notoriété du sujet dans les réflexions politiques de notre pays.

De l’aveu de la plateforme « Engagement animaux 2022 », rassemblant une trentaine d’ONG de protection animale, jamais une campagne n’avait autant donné la part belle à nos amis les bêtes. Cela prolonge et confirme un volontarisme qui avait conduit le Parlement, en novembre 2021, à adopter une loi ambitieuse pour lutter contre la maltraitance des animaux domestiques et des animaux sauvages captifs. Au menu de cette loi : un nouveau certificat pour l’acquisition d’un animal de compagnie, des sanctions renforcées en cas de sévices et de zoophilie, la fin des delphinariums et des animaux sauvages dans les cirques itinérants, entre autres mesures.

Un combat aux accents de plus en plus économiques

Si la cause animale s’est autant imposée dans la sphère publique et politique, c’est qu’elle a bénéficié au fil des années d’une conjugaison de plusieurs facteurs. L’avènement des réseaux sociaux – et des vidéos chocs de L214 ! –, les crises traversées par les filières de production (maladie de la vache folle, fièvre aphteuse, peste porcine, etc.) et les changements de comportements alimentaires, du végétarianisme au véganisme, ont concouru à l’ériger au rang de véritable combat de société. Celui-ci se fonde sur les « cinq libertés » identifiées dès 1979 par le Farm Animal Welfare Council et reprises par l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) : ne pas souffrir de faim ou de soif, ne pas souffrir d’inconfort, ne pas souffrir de douleur, pouvoir exprimer les comportements normaux de l’espèce et ne pas éprouver de peur.

Mais la vraie bascule à opérer, pour rendre effective la transition que la société appelle de ses vœux, doit avoir lieu dans le champ économique. Si les entreprises restent au bord du chemin, il est fort à parier que la voie tracée par les sondages d’opinion et les dispositions législatives demeurera lettre morte. L’industrie agroalimentaire l’a compris et se met progressivement au diapason, à l’image de l’étiquette lancée en 2018 par l’Association étiquette bien-être animal (AEBEA) impliquant autant des ONG que des distributeurs et producteurs. Un mouvement de fond est à l’œuvre, qui voit les filières agricoles s’engager dans l’amélioration des pratiques d’élevage : création de cases-liberté pour ne plus bloquer les truies allaitantes dans des armatures métalliques, construction de bâtiments plus lumineux ou bien encore mise en place de technologies IA de détection des maladies, les initiatives sont légion. 

Des avancées à approfondir

La dixième édition du Business Benchmark on Farm Animal Welfare (BBFAW), publiée en mars, atteste des progrès accomplis. Parmi les 150 entreprises agroalimentaires évaluées par cet indicateur, 89 % d’entre elles reconnaissent le bien-être animal comme enjeu stratégique, contre 71 % en 2012. Plus flagrant encore, 79 % d’entre elles se sont fixées des objectifs chiffrés et assortis d’échéances en la matière, contre seulement 26 % il y a dix ans. Mais ces avancées ne sauraient occulter que « la mise en œuvre des améliorations concrètes pour le bien-être animal est bien plus lente que les progrès relatifs aux politiques et à la gouvernance », selon l’association CIWF. À titre d’illustration, seules 15 % des entreprises évaluées indiquent que 60 % ou plus des poules pondeuses de leur chaîne d’approvisionnement sont élevées hors-cage.

S’il est vertueux, le chemin à emprunter par nos opérateurs économiques est tout sauf d’une simplicité évidente. La cessation fin janvier de l’activité de Poulehouse, la société normande dont la promesse était de ne pas envoyer les poules pondeuses à l’abattoir, témoigne des difficultés à trouver les bons équilibres financiers. La question de l’acceptation, par les consommateurs, du surcoût engendré par une meilleure prise en compte de la condition animale est centrale. Dans le contexte inflationniste lié au conflit ukrainien, il n’est pas certain qu’un grand nombre de Français soient prêts à acheter plus cher leur tranche de jambon. C’est pourquoi l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), aux côtés d’autres acteurs, a mis en place un laboratoire d’innovation appelé LIT Ouesterel pour réconcilier problématiques d’élevage et attentes sociétales.

Le virage tant attendu passera inéluctablement par une mise au niveau des acteurs économiques. Les entreprises réticentes s’exposeront à des risques de dégradation d’image et de boycott, au moins autant que celles s’hasardant dans les dédales du « welfare washing ». En 1994, déjà, Calvin Klein arrêtait sa production de fourrures après que les locaux de l’entreprise avaient été vandalisés par des militants. En 2006 et 2007, la marque était suivie respectivement par Ralph Lauren et Tommy Hilfiger. Des enseignes comme H&M, Inditex ou bien encore Zalando ont toutes adhéré à la Fur Free Alliance qui prône l’abandon pur et simple de l’exploitation animale à destination des fourreurs.

Le vent tourne et les distributeurs, comme les marques de luxe ou de mode, sont de plus en plus attentifs aux attentes des clients et à la radicalisation des opinions s’agissant de la souffrance animale. L’éthique est une nouvelle fois venue percuter l’économique. À cet égard, le bien-être animal a tout pour devenir l’un des marqueurs de l’économie du XXIe siècle.

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