Dominique Bonnafoux (Landor & Fitch) : « Tout ce qui permet de faciliter l’expérience consommateur est à prendre »

Live shopping, caddie connecté, métavers : le digital percute en tout point le monde du retail, qui se doit de répondre à des attentes inédites exprimées par les consommateurs. La consécration du phygital représente-t-elle un danger ou un tremplin pour la vitalité de nos magasins ? Éléments de réponse avec Dominique Bonnafoux, directrice de la stratégie expérience de l’agence Landor & Fitch.

Quelles sont à vos yeux les nouvelles exigences des consommateurs ?

Dominique Bonnafoux : Une tendance forte, accélérée avec la crise sanitaire, porte sur la recherche d’expériences dites « fun ». C’est-à-dire vivre, au-delà de l’acte d’achat en tant que tel, une expérience ludique. Une étude d’IBM souligne que 56 % des consommateurs issus de la Gen Z se rendent dans un magasin physique pour y vivre une expérience enrichissante, rompant avec le monde particulièrement connecté dans lequel nous vivons déjà.

Ce n’est pas qu’un enjeu de gamification. L’aspect social et le contact humain occupent une place essentielle. Le virtuel n’atteint pas aujourd’hui le même niveau d’expérience en la matière. Énormément de retailers vont chercher à créer des communautés à partir de ces contacts-là. Adidas a ainsi refait son flagship Originals, à Londres, de façon à libérer de l’espace et à permettre à ses clients d’y passer du temps, de se sociabiliser les uns avec les autres. Le magasin dispose d’un ensemble de platines Pioneer qui peuvent être utilisées par les clients désireux de montrer leurs prouesses de DJ, ainsi qu’une table de billard en libre accès.

Ces nouvelles attentes concernent tous les âges, et pas uniquement la Gen Z. S’il y a une différence, elle porte sur le niveau d’accessibilité des outils déployés. Il est certain que les dispositifs omnicanaux seront plus intuitivement appréhensibles par les « digital born ». Mais cet appétit en termes d’expérience innovante est clairement partagé par toutes les générations. 

Cette tendance existait avant le Covid : à partir du moment où l’on a commencé à effectuer des achats sur Internet, cela a changé la donne pour les magasins physiques. Acheter une paire de Nike dont vous connaissez déjà la référence sera toujours plus facile en ligne qu’en boutique. L’effet Covid a plus joué un rôle d’accélérateur et de mise sous stéroïdes.

Comment les marques investissent-elles le champ du « social virtuel » ?

Dominique Bonnafoux : Facebook a marqué le début de la digitalisation de certains aspects de nos vies sociales. Elle prend aujourd’hui la forme d’avatars et de métavers. Ce phénomène prend une dimension inédite et se nourrit particulièrement du monde du gaming, à l’instar de World of Warcraft et de toutes ces plateformes générant de vraies interactions sociales entre leurs utilisateurs.

La start-up Squadded a saisi ces évolutions en introduisant l’aspect social dans l’acte d’achat de produits en ligne. La solution Squadded peut être intégrée à n’importe quel site e-commerce et permettre, par exemple, à un groupe de copines de choisir leur maquillage ensemble. L’enjeu étant de répliquer la sociabilité du shopping physique sur des plateformes en ligne. Intégrer en boutique les réseaux sociaux et les influenceurs phares de nos smartphones est aussi un sujet important sur lequel planchent les retailers, afin de créer une expérience véritablement 360°.

Ce métavers dont on parle tant va-t-il jouer un rôle clé dans l’élaboration des stratégies futures des marques ?

Dominique Bonnafoux : Absolument, même si nous ne sommes qu’au début du métavers. Cela reste complètement nouveau. Des marques tentent des expérimentations, comme Balenciaga, Gucci, Nike ou Spotify. Le métavers offre des opportunités pour le retail, en matière notamment de renforcement de la loyauté des clients et de création d’affinités avec les marques.

Cela fait vingt ans que l’on parle de la fin du retail et que l’on annonce la disparition du magasin. Or, c’est en réalité un espace qui n’a de cesse de se réinventer, car il le doit pour survivre. Le métavers incarne davantage une opportunité pour les retailers qu’un risque de tarissement des flux de clientèle en magasin.

La montée en puissance des canaux digitaux ne menace-t-elle pas, malgré tout, la dimension humaine de nos actes d’achat ?

Dominique Bonnafoux : Le e-commerce ne doit pas être perçu comme un danger. Les analyses de données révèlent qu’un consommateur omnicanal, susceptible par exemple de s’inspirer de la page Instagram d’une marque, puis de cliquer vers le site pour enfin finir en magasin afin d’y toucher le produit, a plus de valeur pour un retailer qu’un client n’achetant qu’en ligne ou en magasin physique. « Shoppers who regularly buy across channels have a higher lifetime value than those who do not. »

Au niveau des marques, on observe une double injonction quasiment contradictoire. Il s’agit, d’une part, de faciliter un accès aux produits au travers de mondes virtuels. Mais aussi, d’autre part, de créer un sentiment d’exclusivité grâce à des expériences qui ne sont pas ouvertes à tout le monde. Le digital offre de nombreuses opportunités pour raffermir la loyauté des consommateurs, par le biais de récompenses et d’animation de communauté. Utilisées à bon escient, ces nouvelles technologies peuvent beaucoup apporter. Là c’est encore le Wild West, les marques s’y perdent et ne savent pas toujours comment s’y prendre. Mais c’est normal, nous ne sommes qu’au début d’un long processus.

L’avènement du métavers ne va pas signer la fin du retail. C’est au contraire un moyen d’engager plus intensément un consommateur que sur une page e-commerce classique. Sur un plan éducatif, il a en effet été établi que l’on apprend mieux dans un monde virtuel que par visioconférence.

Quelles sont, selon vous, les tendances incontournables du moment à suivre quand l’on est retailer ?

Dominique Bonnafoux : Tout ce qui permet de faciliter l’expérience consommateur est à prendre. Surtout quand il s’agit d’utiliser ce dont l’on dispose déjà dans notre poche, à savoir le smartphone. Je vois en particulier deux mouvements de fond relatifs à différents moments de la « customer journey ». D’abord, les innovations répondant à un impératif de simplicité et de rapidité sont à suivre de près. Le paiement automatique, l’orientation en magasin, les informations en temps réel sur la disponibilité d’un produit sont autant de leviers apportant une valeur supplémentaire au parcours client.

Ensuite, la priorité doit être d’enrichir l’expérience. Cela peut être aussi simple que scanner un QR code, l’avantage du Covid ayant été de faire renaître ce format que l’on croyait disparu ! La réalité augmentée permettra pour sa part de se plonger dans l’histoire d’un produit, d’une marque en magasin. L’automatisation est également un thème qui revient beaucoup. Brain Corp et RetailWire ont ainsi formulé que 47 % des retailers ont pour projet, dans les dix-huit prochains mois, d’introduire des formes de robotisation en magasin. Les marchés asiatiques sont en avance : le Hyundai Uncommon Store fonctionne complètement sans contact, sans carte, sans espèce, tout en envoyant des recommandations le long du parcours d’achat. Une telle initiative croise à la fois l’exigence de simplicité et d’enrichissement de l’expérience.

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