Laure Vanneufville (Groupe Casino) : « Les politiques de mixité doivent reposer sur un équilibre entre les femmes et les hommes »

Acteur majeur de la grande distribution, le groupe Casino s’engage depuis plusieurs années sur les enjeux de mixité et de diversité au travail, notamment via son réseau La Fabrique. Actu Retail est allé à la rencontre de Laure Vanneufville, directrice du développement RH et international du groupe Casino, pour discuter des avancées sociétales en matière de genre dans le monde professionnel.

Quelle est la politique globale du groupe Casino en matière de diversité et d’égalité professionnelle ?

Laure Vanneufville : Nous travaillons sur ces sujets avec l’ensemble de nos enseignes, à la fois en France et en Amérique latine. Ces enjeux font partie intégrante des politiques RH que nous déployons partout où nous sommes implantés, avec des plans d’actions qui entraînent toutes nos filiales et tous nos métiers. Ces initiatives ont notamment été portées sous la direction de Franck-Philippe Georgin, secrétaire général du groupe Casino et membre du comité exécutif (Comex).

Concrètement, nous articulons nos actions autour de plusieurs axes. Il s’agit d’abord de l’équité des rémunérations, qui constitue selon nous la base de l’égalité entre les salariés. Cela fait maintenant plus de 15 ans que nous agissons en ce sens, ce qui nous a permis d’obtenir immédiatement de bons résultats dans le cadre de l’index de l’égalité professionnelle [NDLR : index mis en place en 2019 par Muriel Pénicaud, alors ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion]. Nous obtenons ainsi une moyenne de 92 points sur 100 pour l’ensemble de nos enseignes en France. Certaines, comme Monoprix, se situent même à 99 points sur 100. Ce qui nous classe parmi les bons élèves français, et pas uniquement dans le secteur du retail.

C’est donc un axe qui nous est cher et sur lequel nous travaillons depuis longtemps. Cela se traduit par des enveloppes dédiées à la réduction des écarts salariaux qui nous paraissent injustifiés dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO), par des enquêtes ou audits réguliers et par cet index qui nous sert à piloter ce sujet essentiel.

Le deuxième axe majeur concerne la mixité au sein des instances de direction et dans l’accès aux postes à responsabilité. Cette politique s’incarne avant tout au travers de nos viviers de détection de talents, qui sont paritaires depuis plus de 10 ans. La veille de l’événement annuel organisé fin juin par La Fabrique, quatre femmes ont été nommées au Comex du groupe, quand bien même les Comex « groupe » ne sont pas assujettis à la loi Rixain.

Nous avons souhaité montrer notre capacité à mener des actions volontaristes sur le sujet. Cela passe par des politiques de nomination et de recrutement engagées, mais aussi par des dispositifs de mentoring pour permettre aux femmes d’accéder aux plus hauts postes. Aujourd’hui, 40 % des membres du Comex sont des femmes. Ce chiffre est de 36 % s’agissant du top management du groupe. Ces résultats démontrent à quel point les lignes ont bougé sur ces enjeux et nous placent, d’ailleurs, parmi les bons élèves tous secteurs confondus. Parmi les entreprises du SBF 120, les femmes représentent plutôt 25 % en moyenne des membres des différents Comex.

Différentes dispositions législatives sont effectivement venues renforcer la présence des femmes dans les instances dirigeantes et les conseils d’administration, telles que les lois Copé-Zimmermann et Rixain. Sommes-nous arrivés au bout du combat ou reste-t-il encore beaucoup à faire ?

Laure Vanneufville : Nous devons absolument maintenir cet effort, puisque des marges de progression existent toujours. Dans certains métiers opérationnels, par exemple, nous observons encore des déséquilibres, à l’instar des postes de directeur de magasin. Pour certains formats de magasin, les plus grands notamment, nous constatons nettement moins de femmes directrices.

Et si nous cessons d’agir, le risque d’un retour en arrière est réel. Notre conviction de départ est d’inclure ces réflexions, depuis plus de trente ans, dans une politique globale de lutte contre les discriminations, quelles qu’elles soient. Il faut s’attaquer à la racine du mal : les stéréotypes ! Dès 2015, et avant le mouvement Me Too, nous avons lancé un plan d’actions contre le sexisme en interne. Cela s’est matérialisé par des guides managériaux, des formations et des groupes d’écoute – que le réseau La Fabrique a d’ailleurs beaucoup porté.

Nous devons continuer dans cette direction. Notre société n’est pas neutre. Les managers ne deviennent pas du jour au lendemain sensibles aux questions d’égalité de genre. Cela suppose au contraire de les former. Et nous souhaitons agir sans culpabiliser qui que ce soit, sans opposer les hommes et les femmes. Nous ne cherchons pas à mener des actions uniquement centrées sur les femmes, mais une politique de mixité qui repose sur la notion d’équilibre.

L’événement annuel de La Fabrique avait pour thème l’inclusion des hommes dans les politiques de mixité. En quoi est-ce aussi important ?

Laure Vanneufville : L’exemple le plus saillant est celui du congé paternité. Le groupe Casino le promeut à 100 %, dans sa version élargie à un mois. Nous pensons qu’il est important que les hommes le prennent, car il est le socle d’une plus juste répartition de la parentalité et des tâches domestiques. De plus, il apporte un bien-être non négligeable aux pères qui en bénéficient. Le groupe Casino s’engage à ce que la prise du congé paternité n’ait aucun impact sur le salaire, fixe comme variable, du collaborateur. C’est un signal fort que nous envoyons. De telles avancées permettent de démontrer aux hommes l’intérêt qu’ils ont à combattre à nos côtés pour l’égalité. On a besoin d’agir ensemble pour créer ce monde mixte.

Que pensez-vous du phénomène de gender fatigue, qui consiste à s’agacer de la présence de plus en plus forte des sujets de genre dans les débats de société ?

Laure Vanneufville : Il est clair que le sujet a pris une ampleur considérable au cours des dernières années, en particulier du fait de l’action des pouvoirs publics. Cela nous aide en tant qu’entreprise et nous encourage à œuvrer en ce sens. Je suis personnellement favorable aux quotas. Ils me semblent efficaces et nécessaires, en attendant de parvenir à une certaine maturité de la société, synonyme d’équilibre naturel des genres.

Cependant, je suis parfaitement consciente du phénomène que vous évoquez. Il est d’autant plus important d’adopter des discours et des actions qui vont aussi bien dans le sens des femmes que des hommes, lorsque l’on agit en faveur de l’égalité. L’index de l’égalité professionnelle est en ce sens un outil pertinent, puisqu’il recherche l’équilibre entre les femmes et les hommes : si vous tombez dans un excès inverse, l’index vous pénalisera ! Il est fondamental de déculpabiliser les managers, en expliquant les biais inconscients et autres stéréotypes possibles.

Comment se positionne la France par rapport à d’autres pays étrangers sur ces enjeux ?

Laure Vanneufville : Nous sommes en réalité plutôt en avance, notamment grâce à un cadre légal exceptionnel. Y compris par rapport à nos voisins européens, et encore plus si l’on compare avec l’Amérique latine. Nous remarquons que le partage de bonnes pratiques fonctionne bien et que celles-ci sont mises en œuvre rapidement. Par exemple, notre enseigne Éxito a proposé au ministère du travail colombien de co-construire un label sur le modèle de ce qui existe en France avec l’Afnor. Et des avancées se sont concrétisées dans des délais très réduits.

Constatez-vous, dans cette prise de conscience des enjeux de mixité, des disparités selon les différents échelons de la hiérarchie professionnelle ?

Laure Vanneufville : Les leviers d’action que nous déployons ne sont évidemment pas les mêmes lorsque nous nous adressons à un cadre ou non. Il existe cependant des politiques globales, comme les formations sur l’empowerment féminin, que nous destinons à l’ensemble de nos collaborateurs, quel que soit leur statut. Ces réalités touchent tout le monde, indépendamment de la position hiérarchique des uns et des autres. Les enjeux de sexisme et d’harcèlement sexuel sont visibles par tous. De même, les labels constituent un motif de fierté pour tous les collaborateurs, peu importe leur statut au sein de l’enseigne. Mais il est également nécessaire de mettre en place des politiques ciblées, en matière de développement des compétences, de mobilité et d’évolution de carrière.

Les nouvelles générations vous semblent-elles plus sensibles à la question de l’égalité professionnelle ? Anticipez-vous un « effet générationnel » positif pour l’avenir ?

Laure Vanneufville : Je l’espère ! Il est clair que les jeunes démarrent aujourd’hui leur parcours professionnel avec des acquis que les générations précédentes n’avaient pas, en particulier sur des thèmes d’avenir tels que l’écologie, le numérique et l’égalité. Pour moi, cela fait partie du même « package ». Alors que les entreprises mettent en avant les politiques d’égalité comme un sujet différenciant de marque employeur, j’ai tendance à penser que les jeunes générations voient ces actions comme un minimum nécessaire. Elles sont nées avec ! Dans les faits, nous devons rester vigilants. Lorsque vous êtes une jeune femme et que vous grandissez dans une société où l’on vous répète que les femmes s’auto-censurent, vous risquez fatalement de tomber dans ce biais. Certaines idées reçues persistent et il faut les combattre, afin que les jeunes générations ne souffrent pas des mêmes obstacles. Dans l’enseignement supérieur, je me réjouis de constater que de nombreuses actions sont mises en place pour sensibiliser les étudiants futurs managers à la diversité et à l’égalité. Tout cela me paraît très intéressant.

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