Mickael Braconnier (Dealt) : « L’économie servicielle représente l’avenir du retail »

La start-up française Dealt entend participer à la révolution servicielle qu’opère le secteur du retail. Reconnue start-up Retail Tech de l’année 2022 par BFM Business et Altavia, l’entreprise propose des services à domicile aux clients des grandes enseignes telles que Mr. Bricolage, Jardiland, Conforama ou encore Decathlon. Son souhait ? Apporter des solutions durables aux géants du retail, afin d’en améliorer l’expérience client. Mickael Braconnier, co-fondateur de la start-up, répond aux questions d’Actu Retail. 

Après la crise épidémique, nous traversons désormais des turbulences inflationnistes : de votre point de vue, quels changements sont intervenus dans nos pratiques d’achat et dans les attentes plus générales des consommateurs ?

Mickael Braconnier : De plus en plus de consommateurs aspirent à une consommation durable, notamment en privilégiant les logiques d’entretien et de réparation à celle du remplacement des produits. C’est une tendance de fond. Il y a un vrai besoin, chez les retailers, de se positionner sur ces nouveaux types de services. Ils le font déjà naturellement au travers des produits sous garantie, mais cela ne suffit pas. Le secteur traverse une crise existentielle : si les consommateurs veulent consommer de façon plus durable, il y a de fortes chances que les distributeurs vendent moins de produits neufs. La question centrale est alors de se préserver d’une baisse de chiffre d’affaires sur ce type de produits, quand les consommateurs souhaitent faire réparer leurs biens, les revendre, les acheter de manière reconditionnée ou simplement les louer.

Le retail doit s’adapter à ces nouvelles pratiques, en proposant les services pertinents d’entretien, de réparation ou encore de seconde main. C’est un changement de paradigme, puisque le retail – à la base – consiste à revendre des produits que l’on achète. Et dans 99 % des cas, on parle de produits neufs ! Il s’agit ici de se demander comment diversifier ses activités au travers de nouveaux modèles de services. Cela implique de trouver des pièces et d’identifier les bons partenaires, par exemple des acteurs de la reprise et du reconditionnement comme Recommerce ou CircularX. D’autres start-up proposent des services de location, à l’instar de Lizy et de Lokki. Dealt, pour sa part, se positionne dans le champ des services à domicile – notamment la réparation et l’entretien des produits directement chez le consommateur.

Au-delà des consommateurs dotés d’une conscience écologique et soucieux de leur pouvoir d’achat, la cible des CSP+ et des seniors ne doit pas être oubliée. Le retail est confronté à un problème de différenciation des acteurs. Il y a une vraie homogénéisation des offres, incarnée par le modèle des marketplaces. Quand les retailers ne peuvent plus se différencier par le prix, ils le peuvent par l’expérience client. Cela va se jouer sur les services, et il y en a plein : livraisons rapides, retours gratuits et paiement fractionné pour les plus traditionnels. Les services offerts aux clients vont ainsi devenir déterminants pour les CSP+ et les seniors, pour des raisons de temps ou de contrainte physique – par exemple pour installer chez soi une pergola. 

Ce besoin en accompagnement de A à Z s’exprime également sur les nouvelles technologies. La Covid a accéléré la digitalisation des seniors : eux aussi ont besoin de se faire accompagner sur l’usage des dernières technologies. Les marques ont elles-mêmes tendance à ajouter des briques technologiques et de nouvelles fonctionnalités pour vendre des produits neufs. Ces enseignes souhaitent être en mesure d’accompagner leurs clients dans l’adoption de ces innovations. Le service à domicile est important en ce sens.

Vous proposez un catalogue composé de 300 services différents : comment les adaptez-vous aux besoins spécifiques des enseignes qui vous sollicitent ?

Mickael Braconnier : Certaines enseignes ont en effet des cahiers des charges spécifiques. Nous allons chercher à apporter leur « touche » dans l’expérience qu’elles souhaitent fournir à leurs clients. Un service obéit à une logique de taux horaire : moins on met d’étapes dans l’exécution du service, moins il va coûter cher. En fonction du positionnement de l’enseigne, nous pouvons être amenés à placer plus loin le curseur du service proposé. L’installation d’une télévision peut comprendre sa configuration, en plus de la fixation murale et des branchements. L’expérience client ne va donc pas être la même en fonction du cahier des charges de nos partenaires.

En outre, des demandes spécifiques peuvent être formulées. Rue du Commerce nous a demandé l’installation de composants informatiques à domicile : c’était pour nous une première et nous avons donc créé ce service de toutes pièces, avant de le déployer sur leur site e-commerce. Au moment de sortir un nouveau robot tondeuse, Jardiland a souhaité mettre l’accent sur son installation et sa configuration à domicile. Ce sont des services spécifiques en fonction de l’animation commerciale et de l’offre produits d’une enseigne.

Ce qui va faire la différence, c’est comment on fait vivre ces services. C’est une chose qu’ils soient proposés, c’en est une autre de les faire connaître aux clients. Se positionner en tant que véritable acteur du service, pour une enseigne, nécessite d’investir en communication, en formation en magasin et en outils digitaux de type CRM. La notoriété et l’image d’une enseigne jouent forcément dans la réussite des services déployés. Plus on va affirmer la mise en place de ces services, plus on va apparaître aux yeux des consommateurs comme un acteur qui va plus loin que la seule vente des produits. Fnac Darty fait office de modèle en la matière, via notamment l’abonnement Darty Max dédié à la réparation des appareils électroniques. Mais cela reste encore marginal : Dealt n’équipe à ce stade que 5 % du retail. Rien que le fait d’adopter Dealt est déjà un axe de différenciation en soi.

Un autre phénomène intéressant est de voir les enseignes former des experts indépendants, qui vont être des auto-entrepreneurs, des artisans, des sociétés locales, etc. Nous proposons aux enseignes des rencontres en magasin, où les experts viennent pour être sensibilisés par les collaborateurs du point de vente et ses fournisseurs. Ils sont parfois directement mis en relation avec le centre de formation agréé en interne. Ces experts sont ainsi formés sur le « mindset » de l’enseigne et ses nouveautés produits. Une enseigne comme Botanic va, par exemple, insister sur sa charte « Jardiner au naturel ». Les experts vont être invités à jardiner sans pesticide, pour respecter l’ADN de l’enseigne.

Quels sont les services les plus demandés par les enseignes et leurs clients ?

Mickael Braconnier : Il y a clairement des « best-sellers ». Sur le bricolage, cela va être l’installation du chauffe-eau, de luminaires, des robinets, des tringles à rideaux, d’un dressing, etc. Nous avons aussi des nouveaux services qui apparaissent, comme la réparation de l’électroménager. Les clients ont généralement besoin d’aide sur les « gros » produits techniques qu’ils achètent. Avec l’hiver, de nombreux consommateurs ont souhaité changer de radiateurs pour faire des économies d’énergie.

Sur le jardinage, les services vont beaucoup porter sur la plantation, le montage d’un salon de jardin ou d’un barbecue. Des paysagistes sont demandés, pour accompagner les clients dans leurs projets d’aménagement extérieur. Cela peut prendre la forme d’un coaching « jardin » parce que, souvent, les clients ne savent pas ce qu’ils veulent faire de leur extérieur – ce qui n’est pas le cas avec le bricolage. Le client est acheteur, c’est juste qu’il ne sait pas quoi faire et a besoin d’un accompagnement. Le coaching « jardin » débouche souvent sur des devis d’aménagement extérieur ou d’entretien. Il existe aussi du coaching « déco intérieure », mais cela reste plus marginal que le jardin.

Comment appréhendez-vous l’enjeu du digital dans le retail, alors qu’il est parfois présenté comme un danger pour le commerce traditionnel ?

Mickael Braconnier : Pour nous, le digital est au service de l’humain. Il contribue à faciliter les échanges. Le digital doit permettre au vendeur, en magasin, de réserver simplement un service pour un client, de l’encaisser rapidement et de clarifier l’offre existante ainsi que les conditions d’exécution ou d’éligibilité s’y rattachant. Il est important de communiquer toutes ces informations au vendeur, pour qu’il puisse conseiller au mieux le client. Le digital est un outil au service du vendeur pour faciliter le processus d’achat et lever les barrières potentielles. Ensuite, une fois que la prestation est réservée, le digital permet au client de retrouver facilement les informations y afférentes, les coordonnées du SAV ou de l’expert qui va intervenir. Les étapes de la livraison ou de l’installation sont réexpliquées. La technologie sert surtout à cette fin. 

Sur l’aspect e-commerce, notre API permet de proposer un service directement au niveau des fiches produits ou du panier d’achat du client, pour qu’il n’y ait aucune rupture dans son parcours. Quand il achète un ordinateur, on peut être en mesure de lui proposer automatiquement son installation et sa configuration à domicile. Ce sont des outils mis à disposition d’abord pour faciliter l’achat et la réservation, puis le suivi et le SAV dans le cas où le client rencontrerait un problème. Du côté des experts, auxquels on apporte d’importants volumes de prestations, le digital permet de gérer les agendas et de récupérer les contacts utiles. Enfin, les vendeurs ont aussi accès au suivi des prestations et du niveau de satisfaction des clients qu’ils nous confient.

Quand on pense économie du service, on parle beaucoup d’économie d’abonnement. Y voyez-vous une tendance structurante ?

Mickael Braconnier : C’est clairement l’avenir du retail ! La grande problématique d’un retailer consiste à maintenir voire à augmenter son chiffre d’affaires d’une année à l’autre. Au premier janvier de chaque année, il doit recommencer tout le chemin parcouru – surtout avec les crises qui surviennent. L’avantage d’une offre de services bien construite et correctement communiquée aux clients est de déboucher sur la vente d’abonnements, comme la tonte de pelouse, le taillage de haies, le ramassage des feuilles en automne, la réparation de l’électroménager, l’entretien de la chaudière, etc.

Il y a plein de services qui peuvent être vendus sous forme d’abonnement. C’est le cas de Darty Max, qui en l’espace de deux ans a su rassembler 500 000 abonnés s’acquittant en moyenne la somme de 14,99 euros par mois. L’objectif affiché est d’atteindre deux millions d’abonnés d’ici 2025. Cela représenterait environ 400 millions d’euros de revenus annuels. C’est significatif. Commencer l’année avec une telle somme est sécurisant pour un retailer, dans la mesure où les durées d’engagement sont généralement de douze mois. 

L’avantage de l’économie servicielle est d’offrir bien plus de cas d’usage que l’approche produits. Et cette économie bénéficie d’un effet de marché, au travers du crédit d’impôt de 50 % relatif aux services à la personne. Depuis 2022, ce crédit d’impôt a été rendu immédiat par l’Urssaf, là où il fallait attendre la fin d’année auparavant. Le client n’a plus à avancer ces 50 % additionnels, ce qui représente un gain de trésorerie et de pouvoir d’achat au bout du compte. Cela va encourager et démocratiser le recours à des services sous format d’abonnement mensualisé.

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