Thomas Genestar (Exotec) : « La robotisation dans le retail, une plus-value au service de la qualité du travail humain »

Première licorne française industrielle, Exotec développe des solutions robotiques pour optimiser la préparation des commandes et les flux logistiques dans le secteur du retail. Actu Retail a interrogé Thomas Genestar, directeur général de l’entreprise pour l’Europe de l’Ouest, sur les enjeux associés à la robotisation de certains entrepôts de la grande distribution.

Quel a été l’impact de la pandémie sur l’activité et les perspectives d’Exotec ?

Thomas Genestar : Les deux dernières années sont venues chambouler la vie de beaucoup de personnes. Chez Exotec, la crise sanitaire a affecté à la fois la partie commerciale et la partie production. L’impact commercial s’est manifesté en deux temps. Au départ, la propension des retailers à lancer de nouveaux investissements s’est réduite, malgré la forte explosion du e-commerce sur cette période. Il a été nécessaire, pour tous les commerçants, de revoir leurs plans logistiques et leurs manières de se structurer par rapport aux transformations du marché. Cette période de stagnation a duré entre six mois et un an.

Puis l’activité d’Exotec a connu une accélération assez forte, en ligne avec la croissance soutenue du e-commerce. Les entrepôts ont de plus en plus évolué pour s’adapter au commerce digital et viser davantage d’omnicanalité. Nous cherchons à répondre à ces besoins exprimés par nos clients dans le secteur du retail, en les équipant avec des solutions robotiques de pointe.

Vos solutions existent maintenant depuis de nombreuses années, comme en témoigne la mise en place dès 2016 d’un partenariat inédit avec un acteur tel que Cdiscount. La robotisation est-elle, depuis votre lancement, devenue un réflexe pour les acteurs du retail ?

Thomas Genestar : La tendance de fond existe en effet depuis plusieurs années et ne cesse de s’amplifier. La croissance actuelle du e-commerce implique plus de besoins logistiques et de réactivité. Cela entraîne une automatisation plus forte des entrepôts pour gérer ces nouvelles demandes. Et de plus en plus de clients se tournent naturellement vers des technologies robotiques, notamment les plus récentes d’entre elles.

L’automatisation peut se faire de deux manières différentes. La première, plus traditionnelle, vise à être immédiatement performant sur de grands volumes de flux, mais son déploiement se fait de façon figée et rend plus difficile d’éventuelles évolutions futures. La seconde approche consiste à permettre au client de phaser ses investissements en misant sur des solutions robotiques « scalables ». C’est une façon de rassurer un retailer par rapport au budget à débloquer pour améliorer son activité opérationnelle. Un entrepreneur n’a donc plus nécessairement besoin d’anticiper ce que sera son système logistique dans cinq ans. C’est d’autant plus important que les marchés sont extrêmement mouvants et qu’il est difficile d’établir des hypothèses de croissance.

Les technologies robotiques « scalables » permettent de dimensionner les dispositifs d’automatisation à l’activité du moment, puis de les faire évoluer de façon progressive, année après année. Il s’agira, par exemple, d’ajouter petit à petit des robots dans le système d’ensemble, afin de répondre aux flux générés par la demande. C’est un véritable déclic : l’investissement de départ est moins fort et donc moins risqué. S’adapter au fur et à mesure est tout à fait rassurant pour des clients qui évoluent dans des marchés en profonde mutation.

La spécificité d’Exotec est de faire circuler vos robots en 3D, notamment en hauteur le long des armoires de stockage des entrepôts. En quoi les robots 3D représentent l’avenir de la logistique dans le retail ?

Thomas Genestar : Nos clients font face à de nombreuses problématiques. Ils doivent répondre aux besoins de leur propre clientèle, tout en étant confrontés à des enjeux de surface exploitable. Généralement, ils possèdent déjà des entrepôts desquels il est difficile de déménager. Notre objectif est donc de gérer le volume, et non la surface. L’idée est d’être capable, à surface équivalente au sol, d’assurer une gestion optimale de la quantité de marchandises pouvant être stockées et de flux pouvant être absorbés. Ceci est intéressant d’un point de vue non seulement économique, mais également environnemental. Réduire son empreinte au sol, c’est aussi moins d’artificialisation des terres. Ce point est important, puisque la logistique est souvent critiquée sur le terrain de l’écologie.

Nos installations 3D peuvent atteindre 12 mètres de hauteur. Elles incluent des racks le long desquels les robots vont « grimper » pour récupérer tel ou tel colis. Notre volonté est de dimensionner nos installations au plus haut par rapport à la taille de l’entrepôt concerné, au centimètre près, afin d’optimiser l’espace de stockage exploitable.

Vous avez équipé en robots un entrepôt zéro carbone, dévoilé en octobre dernier par Monoprix. La logistique de demain, si elle souhaite être vertueuse sur un plan environnemental, implique-t-elle nécessairement le recours à la robotisation ?

Thomas Genestar : D’autres acteurs vont certainement trouver des solutions différentes pour rendre la logistique écologiquement plus vertueuse. Mais notre système présente un avantage : pour amener une marchandise d’un point A à un point B, nous ne déplaçons qu’un seul robot lui-même transportant un unique bac de stockage. Nous limitons ainsi l’effort de déplacement. De plus, nos robots se rechargent au moment de leur descente du rack, ce qui permet d’optimiser la consommation énergétique de l’entrepôt.

Dans le cas de technologies robotiques plus traditionnelles, il s’agit souvent de bras automatisés assez lourds qui vont se déplacer et nécessiter davantage d’énergie. Notre solution permet ainsi de diviser par cinq la consommation énergétique par rapport à la robotisation traditionnelle, à demande équivalente. Nos robots sont équipés de moteurs électriques économes en énergie. Nos clients n’ont pas besoin d’installation électrique complexe, ni de tableau général basse tension (TGBT) supplémentaire pour les faire fonctionner.

S’agissant de l’entrepôt Monoprix, beaucoup d’autres choses ont été mises en place pour optimiser sa consommation énergétique, en matière de construction, de photovoltaïque ou bien encore de géothermie. Nous y avons apporté une brique qui, en plus d’être économe en énergie, permet de réduire l’empreinte au sol de l’entrepôt. La densification est une façon d’éviter d’augmenter les surfaces logistiques.

Vos solutions s’inscrivent dans un contexte de pénurie de main d’œuvre dans les métiers de la logistique. Comment abordez-vous la relation entre l’humain et le robot ?

Thomas Genestar : C’est une question qui revient régulièrement et qui est justifiée. Elle se pose dès lors qu’un robot effectue une tâche pouvant être réalisée par un humain. Vous l’avez dit, nous sommes dans un contexte de pénurie de main d’œuvre et de pénibilité de certains métiers de la logistique. Nous, ce que l’on souhaite, c’est de proposer un service robotisé sur des tâches à faible valeur ajoutée et à forte pénibilité. Le rôle de notre robot est de déplacer des charges en allant les chercher à différentes hauteurs, pour les apporter dans une position ergonomique à un opérateur humain. Ce dernier va alors pouvoir s’occuper de la préparation des commandes.

Dans un entrepôt « classique », un opérateur marche environ quinze kilomètres par jour et doit récupérer des charges soit au-dessus des épaules, soit en partie basse. Or, la répétition de ces mouvements peut être à terme responsable du développement de troubles musculo-squelettiques. 

J’ai la conviction que nous apportons une plus-value aux humains en termes de qualité de vie au travail. Sachant que de moins en moins de personnes veulent s’engager dans ces métiers. Robotiser une activité, c’est permettre aux opérateurs de se concentrer sur les aspects à plus forte valeur ajoutée et d’évoluer dans un environnement tech intéressant. Ils apprécient généralement travailler avec de tels systèmes automatisés.

Le siège d’Exotec est situé à Croix, à proximité de Lille. Cela traduit-il une volonté de votre part de concourir à la réindustrialisation de la France ?

Thomas Genestar : L’entreprise porte un certain nombre de valeurs fortes, dont celle de conserver sa production en France et une forme de proximité entre tous ses collaborateurs. Nous souhaitons garder ce lien, car nous avons la conviction que nous pouvons être compétitifs tout en restant en France. Nos robots sont fabriqués exclusivement à Croix, à partir – quand c’est possible – de matériaux originaires de France ou de pays limitrophes. Cet approvisionnement en circuit court est notamment synonyme d’une meilleure maîtrise de la qualité de la production de nos éléments clés.

De plus, en période de pandémie, nos chaînes de logistique plus courtes nous ont permis d’être résilients et d’assurer dans les temps les livraisons de nos clients. Aujourd’hui, nous souhaitons poursuivre cette politique. Nous travaillons actuellement à l’implantation d’un nouveau siège à Wasquehal, en région lilloise toujours, qui pourrait accueillir 1 000 collaborateurs. Nous y avons prévu une zone de production de nos robots à côté de nos bureaux, dans l’optique de briser les frontières et de permettre à chacun de se sentir impliqué de la même manière au sein de l’entreprise.

Nous tenons à cette production en France. Certains de nos éléments, comme les racks, sont fabriqués à l’étranger lorsque nous devons les installer dans d’autres pays, car ils sont très volumineux à transporter. Nous avons des fournisseurs locaux en Amérique du Nord et au Japon. Mais le cœur de la technologie reste fabriqué ici, à Croix.

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