Ballon de football

Amazon en passe de rafler le football français

Alors que Canal+ et BeIN Sports, prétendants naturels à la reprise des droits de diffusion de la Ligue 1 et de la Ligue 2, ont décidé de ne pas se positionner sur le nouvel appel d’offres de la Ligue de football professionnel (LFP) après la débâcle du sino-espagnol Mediapro, le géant américain du e-commerce Amazon semble être le mieux positionné pour rafler les “droits télé” du football français. Une hypothèse, hier encore complètement inimaginable, mais qui prend corps d’heure en heure, et qui ne devrait pas être sans conséquence pour le secteur du retail dans toute sa globalité.

Les grandes affiches du championnat français seront-elles, d’ici quelques semaines, diffusées sur Amazon Prime ? En bénéficiant d’un heureux concours de circonstances, avec le boycott du nouvel appel d’offres de la part des diffuseurs historiques du football français que sont Canal+, BeIn Sports ou encore RMC Sport, le géant américain du e-commerce apparaît comme le plus à même de répondre aux exigences, notamment financières, attendues par le comité pilotage de la LFP. Car si les cinq offres formulées, notamment parmi les plus intéressantes, celles formulées par la plateforme de streaming DAZN, le groupe Discovery et donc Amazon, n’ont pas atteint le prix de réserve attendu par la LFP, tant l’intérêt d’Amazon pour le dossier que ses ressources financières donnent à penser que le football français est à l’orée d’une nouvelle grande bascule.

Après la déconfiture du groupe sino-espagnol, le football français bientôt dans le giron américain

Après les velléités de rachat du québécois Couche-Tard sur Carrefour, vite douchées par un Bruno Le Maire guère enclin à voir passer ce “chaînon essentiel dans la sécurité alimentaire des Français” et ce symbole de la “souveraineté alimentaire” du pays sous le giron nord-américain, le football français va-t-il se donner corps et âme à l’américain Jeff Bezos ? Dans les deux cas, il s’agit d’acteurs quelque peu exsangues, le premier du fait, en partie, de l’essoufflement de son modèle historique et de la perte de vitesse de son format phare, les hypermarchés, le second, en raison de choix hasardeux réalisés ces dernières années, avec notamment comme point d’orgue l’attribution, en 2018, pour 1,153 milliards d’euros, des droits télé à Mediapro. Un montant que, pour rappel, Maxime Saada, au micro de C à Vous, avait alors qualifié “d’intenable économiquement”. Le président du directoire de Canal+ expliquait ainsi, il y a un peu moins de trois ans, qu’un tel montant ne pouvait être rentabilisé de la part de Mediapro qu’à condition de proposer un abonnement mensuel de près de 100 euros, à raison d’un million environ de personnes enclines, en France, à souscrire à ce type de chaînes payantes. Autant d’éléments qui conduisaient le président du diffuseur historique du football en France à considérer la situation pour Mediapro comme nécessairement “intenable” mais qui, pourtant, et à l’étonnement des observateurs spécialisés, n’avaient visiblement pas suscité de réserves similaires de la part des décideurs de la LFP. La suite est connue et, entre-temps, Maxime Saada a gagné une réputation d’augure.

De la terre battue au carré vert, Amazon se paie le sport français

Présenté ces derniers jours comme le “sauveur du foot français”, comme hier Mediapro qui devait, pour rappel, révolutionner le football français en l’alignant sur les grands championnats européens, Amazon n’en est pas à son premier coup d’essai dans le football français puisque en 2018 le géant américain du e-commerce avait déjà rencontré les dirigeants de la LFP dans le cadre des travaux préparatoires de la ligue au lancement de son appel d’offres pour les droits de la période 2020-2024, sources aujourd’hui de toutes les batailles. Une stratégie d’acquisitions de droits de diffusion du football qui s’inscrit dans le cadre d’une démarche à l’échelle européenne puisque, ces dernières années, la firme de Jeff Bezos a notamment racheté des lots d’affiches prestigieuses en Italie ou encore en Angleterre. Rappelons également que le géant américain, outre de lorgner sur les carrés verts, a récemment réalisé une entrée fracassante et inattendue sur le terrain de la terre battue en acquérant les droits de diffusion de Roland-Garros pour les éditions entre 2021 et 2023.

Si les contours de l’offre proposée par l’américain restent encore flous, notamment sur son intention de rompre avec sa stratégie d’achat d’affiches, et de candidater sur l’ensemble des 4 lots proposés par la ligue, nul doute que l’entrée de l’américain sur ce terrain éminemment symbolique et politique ne manquera pas de faire réagir du côté du gouvernement. Ce dernier ayant fait de la défense de la souveraineté, tous domaines confondus, un axe structurant de sa politique depuis le début de la crise sanitaire. Si le football français ne relève pas nécessairement et en soi du domaine de la souveraineté stratégique, comme l’est un groupe comme Carrefour, il n’en demeure pas moins qu’une prise de contrôle du football français par Amazon avec l’assentiment tacite du gouvernement ne manquerait pas de questionner.

Une part de marché dopée par les droits télé du foot

D’autant que, renforcé par la crise sanitaire, tant en termes de dynamique que d’emprise sur le marché français, le géant américain s’achèterait ainsi une publicité géante et omnicanale, de nature à introduire une distorsion de concurrence manifeste. Car, à la différence de DAZN, de Discovery (maison-mère d’Eurosport) et naturellement des diffuseurs historiques du championnat français que sont Canal+ et BeIN Sports, Amazon est avant tout, faut-il le rappeler, un retailer. Le groupe de Seattle, en plus d’être le premier e-commerçant, occupe depuis quelques mois la place de troisième distributeur au monde, derrière les géants Costco et Walmart, comme le rappelait le classement Deloitte établi en février dernier sur la base des chiffres d’affaires 2018. Un retailer qui, via l’acquisition de droits de diffusion d’événements sportifs, de Roland-Garros à, peut-être demain, le championnat français de football, poursuit des objectifs de visibilité qui excèdent, de loin, le développement de la seule offre Amazon Prime Video.

Si Amazon n’occupe encore “que” 22% de part de marché en France, hors grandes surfaces alimentaires, nul doute qu’un positionnement durable sur cette vitrine publicitaire sans égal que constitue le football, est de nature à accompagner le développement, quasi irrésistible, de l’américain dans l’hexagone. Après avoir bloqué l’opération de Couche-Tard sur Carrefour, Bruno Le Maire permettra-t-il à Amazon de gagner sur tapis vert le football français, et avec lui, une vitrine publicitaire sans égale. Une chose est sûre, l’issue du match est incertaine et le coup de sifflet final demeure encore lointain.

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