Jean-Marc Mégnin

Jean-Marc Mégnin : « Le live shopping apporte de la chaleur et de l’humanité dans une relation commerçante »

C’est l’un des phénomènes émergents qui agitent le monde du retail. Le live shopping connaît un essor important et devrait poursuivre sur sa belle dynamique. Pratique encore peu connue en France, cette technique de vente consiste à proposer des produits en direct, via des vidéos diffusées en streaming sur les réseaux sociaux ou les sites marchands, tout en permettant aux consommateurs d’interagir avec l’expert-présentateur. Altavia ShopperMind, en partenariat avec OpinionWay, a sondé les Français sur le sujet. Décryptage avec son directeur général, Jean-Marc Mégnin.

Quelle est cette nouvelle tendance phare du retail, relativement méconnue à ce stade en France, et d’où vient-elle ?

Jean-Marc Mégnin : Effectivement, le live shopping ou live streaming est encore peu connu en France. Notre étude souligne que 87 % des Français n’en ont jamais entendu parler et que seuls 3 % d’entre eux ont déjà acheté des produits via ce canal de vente. En revanche, c’est une tendance grandissante puisque 79 % de ces 3 % ont recouru au live shopping pour la première fois pendant la période de crise sanitaire. La pandémie a été un accélérateur. Et ce taux de 3 % augmente fortement au sein de la génération Z : la part de personnes ayant déjà testé l’achat en live shopping grimpe à 6 % pour les moins de 25 ans au global, et à 9 % pour les femmes de cette tranche d’âge.

Ce phénomène vient de loin. Il apparaît autour de l’année 2014, dans les contrées retirées de Chine. Le live streaming est né dans ces villages éloignés, où le digital joue un rôle important pour rapprocher marchands et consommateurs via des plateformes web. Dans les marchés ou les plantations, les producteurs ont rapidement compris l’intérêt de vendre en direct leurs marchandises. Alibaba a emboîté le pas, au travers de Taobao [NDLR : l’équivalent en Chine de Leboncoin], ainsi que JD.com. Ces géants chinois ont alors fait connaître à large échelle ce nouveau canal de vente, jusqu’à ce qu’il soit repris par les Key Opinion Leaders et leurs millions de followers sur les réseaux sociaux.

À l’origine, cette pratique est 100 % dédiée au format mobile. Elle repose sur le principe de la désintermédiation, c’est-à-dire les circuits courts et la vente en direct. C’est un système authentique et naturel, simple à utiliser, de sorte que les petits producteurs chinois puissent toucher facilement des millions de consommateurs potentiels. Et contrairement au e-commerce, cette technique est interactive.

L’essor du live shopping est-il conjoncturel, limité au contexte de crise sanitaire, ou s’agit-il d’un canal de vente d’avenir et structurant pour les enseignes ?

Jean-Marc Mégnin : Son expérience en France étant encore très minime, il est difficile de répondre à cette question sans faire référence aux pays d’où il est originaire. Le phénomène est sociétal. Ce canal est né de personnes insatisfaites de la complexité et du manque d’interactivité du e-commerce. Elles ont trouvé par ce biais un moyen de nouer une relation one-to-few, proche du one-to-one, avec les consommateurs : leurs commentaires sont pris en compte et possibilité leur est offerte d’acheter en temps réel ce qui leur est présenté.

D’une certaine manière, il est conjoncturel puisqu’il s’inscrit dans un mouvement de digitalisation du monde du retail. Mais il n’est pas spécifique à la crise sanitaire que nous traversons. Celle-ci ne joue qu’un rôle d’accélérateur. Le live shopping est intéressant dans un contexte de fermeture des magasins, car il permet à des petits producteurs et commerçants, comme une librairie de quartier, de maintenir un lien avec leurs clients.

Si la pratique demeure confidentielle en France, comment évaluez-vous son potentiel de croissance ?

Jean-Marc Mégnin : Il est vrai que la notoriété spontanée du live shopping n’est pas encore très développée en France. Mais la notoriété assistée est conséquente : 52 % des femmes de moins de 25 ans déclarent s’y intéresser une fois que le concept leur a été expliqué. Ce pourcentage est de 47 % pour l’ensemble des jeunes de moins de 25 ans. Les jeunes femmes, véritablement, constituent le cœur de cible des adeptes du live shopping. Quand on leur demande si elles comptent avoir recours à ce mode d’achat au cours des six prochains mois, 49 % d’entre elles répondent par l’affirmative. Le phénomène est peu connu, mais il a un potentiel important. Il devrait connaître en France la même destinée que dans d’autres pays où il explose.

Où en sont aujourd’hui les enseignes françaises sur le sujet ?

Jean-Marc Mégnin : Après les producteurs indépendants et les leaders d’opinion, les marques et les enseignes ont commencé à s’intéresser à l’opportunité du live shopping. En France, nous observons deux courants. D’une part, des commerçants passent par Facebook Live ou Instagram Live pour écouler leurs stocks alors que leur magasin est fermé. C’est très difficile à quantifier, car ce sont des initiatives individuelles. D’autre part, les enseignes se sont elles aussi emparées du phénomène. Il est beaucoup question de Cultura, de Leroy Merlin ou bien encore de Microsoft. Carrefour a également testé le live shopping pour vendre des jouets, à l’occasion des fêtes de Noël, et vient de réitérer l’exercice pour sa foire aux vins.

Pour autant, le live shopping tel qu’il est pratiqué par les enseignes dénature quelque peu le concept d’origine. Elles utilisent très peu le mobile et leurs vidéos streaming sont en réalité accessibles depuis leur site e-commerce. Mais elles ont saisi cette opportunité pour donner un rendez-vous à leurs clients. Elles les fidélisent autour, par exemple, d’un rendez-vous bricolage chaque samedi sur le site marchand ou sur l’application de la marque. Les résultats témoignent d’un potentiel certain.

Le profil des utilisateurs du live shopping est-il restreint aux jeunes femmes ? Ou son potentiel est-il bien plus large ?

Jean-Marc Mégnin : Certes, les utilisateurs concernés sont plutôt à l’origine des jeunes femmes. Mais cela fonctionne de plus en plus auprès d’un public masculin. Par exemple, en Chine, BMW a dévoilé l’an dernier un nouveau modèle en streaming sur Taobao Live. Parmi les enseignes françaises les plus dynamiques en matière de live shopping, on peut citer Leroy Merlin. En l’espèce, la cible n’est pas féminine. L’enseigne a notamment fait une opération de ce type avec AEG pour des perceuses, en associant un influenceur spécialiste du bricolage et de la soudure. Il n’y a plus de profil type, le live shopping intéresse tout le monde.

La force de cette pratique est qu’elle apporte de la chaleur, de l’humanité. Il faut arrêter de dire que le digital est froid. Quand on est chez soi, en train de regarder une démonstration de bricolage avec un blogueur que l’on suit depuis des années, le live shopping installe un intermédiaire chaleureux entre le « buying » et le « shopping ». Le « buying », via les sites e-commerce, est aujourd’hui plus pratique qu’authentique. Le « shopping », quant à lui, est certes chaleureux mais il faut se rendre en magasin et parvenir à trouver un vendeur. Le live shopping offre une troisième voie : c’est le chaînon manquant entre le e-commerce et le magasin physique. C’est ce qui explique son succès.

Des secteurs sont-ils immédiatement plus favorables à cette nouvelle façon de vendre, ou est-elle par nature transversale ?

Jean-Marc Mégnin : Ce sera transversal. Mais le live shopping s’est d’abord développé avec l’alimentaire et les cosmétiques. Pour ces derniers, cela constitue un moyen de recueillir de riches données clients, au travers des commentaires et des questions qui peuvent être posées. Ce qui intéresse les enseignes du secteur, c’est aussi de mieux connaître leurs consommateurs. Désormais, les constructeurs automobiles s’y sont mis, de même que les professionnels du bricolage, du vin, du luxe et bien d’autres. Il s’agit davantage d’un état d’esprit que d’une spécificité d’un secteur.

La notion de proximité est omniprésente dans les réflexions qui ont trait à l’avenir de la grande consommation. 2021 sera-t-elle l’année de la proximité ?

Jean-Marc Mégnin : Je le confirme complètement. Les individus souhaitent de plus en plus de services. Et cela passe par le relationnel. Chaque année, avec OpinionWay, nous questionnons 5 000 Français sur la qualité du lien qu’ils ont avec leur enseigne préférée dans le cadre de notre Baromètre de la valeur Shopper. Pour le Drive, nous avons constaté que les attentes les plus performantes sont « je passe un bon moment » et « cette enseigne me respecte ». Une enseigne qui a compris qu’un consommateur n’a pas, à un moment donné, ni le temps ni l’envie de se rendre en magasin est, de fait, proche de ses clients. C’est de la proximité relationnelle et servicielle.

La réussite du live shopping se fonde aussi sur ce point. Passer un bon moment n’est plus seulement l’apanage du magasin physique, mais également celui du bouquet de services qu’une enseigne est capable de déployer pour le bénéfice de son client. Nous avons changé d’époque.

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