Michael Ballay (Food Service Vision) : « La distribution hors-domicile, un secteur en pleine transition »

Expert dans l’observation et l’étude des mutations de la consommation hors-domicile, Food Service Vision accompagne les acteurs du secteur dans leur développement. Actu Retail s’est entretenu avec Michael Ballay, directeur associé de l’entreprise, pour discuter des transformations de la distribution hors-domicile à l’occasion de la publication de l’édition 2022 de la Revue Business Distribution.

Comment se porte la distribution hors-domicile au terme de deux années marquées par la crise de la Covid-19, elle qui s’adresse aux professionnels de la restauration ?

Michael Ballay : Le marché de la restauration, au sens large, a connu deux années difficiles du fait de la pandémie. La distribution structurée – qui comprend 26 distributeurs leaders dont Metro, le Groupe Pomona ou bien encore Transgourmet – a subi une évolution négative de son chiffre d’affaires de -26,5 % entre 2019 et 2020, soit une perte de 5 milliards d’euros sur cette première année. Cela représente un quart de l’activité globale. L’année 2021 a été celle de la reprise, avec une hausse de 12,7 % par rapport à l’année précédente. Cette relance a permis de ramener à 3 milliards d’euros l’ampleur de la perte calculée par rapport au niveau de 2019. L’année 2021 a donc permis de récupérer près de la moitié de ce qui avait été perdu.

Sur les six premiers mois de l’année 2022, nous continuons de rattraper le retard accumulé depuis 2019. Jusqu’au mois de mai, les résultats étaient certes meilleurs qu’en 2020 et 2021, mais restaient en-deçà de ceux de 2019. Et pour la première fois depuis le début de la pandémie, le mois de mai 2022 a été synonyme d’une croissance globale du secteur supérieure à celle de 2019. Nous revenons donc à des rythmes équivalents à ceux de 2019. Pour autant, le premier semestre 2022 ayant été en-deçà des performances de 2019, nous devrions conserver une évolution négative à la fin de l’année par rapport à cette année. Mais les perspectives de retour à une activité normale pour 2023 sont crédibles.

Assiste-t-on, depuis la pandémie, à une reconfiguration des acteurs qui composent le secteur de la distribution hors-domicile ?

Michael Ballay : Je vois deux niveaux de réponse. Le premier concerne le top 5 des distributeurs, dont le leader est le groupe Metro – avec ses enseignes Metro et Pro à Pro –, suivi du Groupe Pomona, de Transgourmet, de France Frais et du spécialiste de boissons C10. Ces acteurs ont renforcé leurs positions, puisqu’ils représentent 58 % du volume d’affaires du secteur en 2021, contre 57 % en 2019. Ce top 5 s’est consolidé.

Le second niveau d’analyse concerne les 26 principaux acteurs du marché de la distribution hors-domicile. En la matière, nous assistons à une forme d’atomisation du secteur, puisque ces acteurs concentrent un peu moins 65 % de l’activité du marché global. À l’image du secteur du retail, nous sommes sur un marché de la distribution hors-domicile plutôt atomisé. Les deux dernières années ont davantage profité au top 5, qui eux ont largement renforcé leurs positions.

Comment la dynamique inflationniste actuelle impacte le secteur de la distribution hors-domicile ?

Michael Ballay : Nous constatons effectivement un niveau d’inflation élevé, lié notamment à l’augmentation du prix des matières premières agricoles, de l’énergie et des salaires. Cette réalité nous amène en moyenne à une hausse de 12,3 % des prix chez les distributeurs pour les produits alimentaires et les boissons, à date de fin juin 2022. Toutes les catégories sont concernées. Mais on observe pour certaines d’entre elles, comme le sucre, les pâtes alimentaires, les fruits et les légumes, une hausse de prix au-delà des 20 %. Or, il s’agit ici de produits de grande importance pour les clients du secteur, avec des ingrédients phares dans la restauration.

L’inflation est majeure, plus encore en restauration que dans le secteur global du retail. Les hausses de prix que nous connaissons aujourd’hui sont historiques, notamment s’agissant de la rapidité de leur survenue. Chez Food Service Vision, nous n’avions pas observé un tel phénomène depuis 15 ans. Une partie de cette inflation est structurelle, liée non seulement au conflit ukrainien qui s’installe dans la durée, mais aussi au vieillissement de la population des agriculteurs en France. Le bassin de production diminue et c’est aussi l’une des raisons de ces hausses de prix.

Nous nous engageons donc sur des niveaux d’inflation qui sont conséquents, en partie structurels, et qui laissent peu d’espoir de retrouver ceux de 2017 ou de 2018. Nous tablons plutôt sur des hausses de prix qui resteront importantes. Il n’y a aucun signe annonciateur d’une baisse majeure dans les mois à venir. Nous nous attendons à une longue période d’inflation.

Parmi les distributeurs que nous avons rencontrés dans le cadre de notre Revue Business Distribution, aucun ne prévoit de baisse immédiate ou rapide. Par exemple, au mois de juin, nous en étions à la cinquième vague d’augmentation des tarifs de certains fournisseurs par rapport à leurs distributeurs. D’ordinaire, nous constatons plutôt un unique rendez-vous de renégociation par an. Le phénomène est important, amené à durer dans les semaines et les mois qui viennent.

La crise sanitaire a entraîné une progression importante de la digitalisation du secteur de la restauration. Ce phénomène a-t-il un impact sur les acteurs de la distribution hors-domicile ?

Michael Ballay : Évidemment, oui. Nous retenons là encore deux niveaux d’analyse. Premièrement, le paysage du secteur de la restauration se transforme, notamment s’agissant des modes de livraison. Cette transition incite les distributeurs à reconsidérer leurs offres, puisqu’on n’utilise pas les mêmes produits selon que l’on s’intéresse à la restauration à table ou à la livraison. Les besoins des restaurateurs ne sont pas les mêmes en termes de produits. Chez Food Service Vision, nous avons constaté une adaptation d’une partie de l’offre des distributeurs pour convenir à ces nouveaux segments. D’ailleurs, ces évolutions se sont d’abord manifestées sur le créneau de la restauration rapide – notamment les établissements proposant des burgers, des pizzas et des sushis.

Ensuite, du côté des distributeurs, la digitalisation a transformé la relation entretenue avec leurs clients restaurateurs. Les distributeurs ne s’adressent plus à eux de la même manière. La part du e-commerce progresse, bien qu’elle reste relativement faible au sein du marché de la distribution – environ 9 %. Et c’est surtout toute la partie relative à la relation commerciale qui évolue. La communication devient toujours plus dématérialisée, avec le développement de canaux comme WhatsApp pour faciliter les interactions entre distributeurs et restaurateurs. Les salons professionnels se sont également digitalisés, avec des webinars ou des démonstrations de produits réalisées à distance.

Nous observons donc une transformation fondamentale de la relation commerciale. Mais le digital n’a pas pris la place du physique. Pour preuve, la taille des forces de vente physiques et de télévente est revenue au niveau de 2019. Le digital est en fait venu apporter un complément à la relation commerciale traditionnelle. Les distributeurs ont investi le champ du digital pour conserver un lien avec leurs clients pendant la pandémie, de sorte que coexistent aujourd’hui des interactions physiques et des modes plus modernes de relation digitalisée.

Dans un communiqué de presse, vous évoquiez un élargissement de la gamme de services proposés par les distributeurs. De quoi s’agit-il ?

Michael Ballay : Les services proposés par les distributeurs demeurent majoritairement du registre du « back office ». C’est-à-dire des services destinés aux restaurateurs pour optimiser leur travail en cuisine, en arrière-plan. On peut citer des acteurs comme la start-up Choco, qui développe une application permettant aux restaurateurs d’optimiser leurs achats, de suivre leurs commandes ou bien encore d’obtenir des factures uniques.

Parallèlement, nous constatons l’émergence de services cette fois-ci « front office », qui ont pour vocation d’aider les restaurateurs à améliorer leurs ventes. On y retrouve par exemple des applications de paiement digitalisé via des QR codes – comme Sunday. Ou encore des solutions digitales de programme de fidélisation, pour tourner la page de la carte « à tamponner ».

En résumé, la digitalisation vient enrichir l’éventail de services déjà existants pour le « back office », en particulier en termes de praticité et de simplicité. Et se développent en parallèle des services « front office », qui vont permettre d’accompagner les restaurateurs dans l’optique de mieux vendre.

Des axes RSE se distinguent-ils parmi les initiatives menées dans le secteur de la distribution hors-domicile ?

Michael Ballay : Il est intéressant de pointer un aspect particulier des politiques RSE menées par les distributeurs : ce sont des stratégies qui n’ont été ni ralenties ni abandonnées par les acteurs concernés, malgré la baisse d’activité globale. D’abord parce que les distributeurs avaient pris des engagements concrets auprès des marchés financiers, et étaient donc tenus de les poursuivre. Ensuite parce que ces acteurs avaient déjà mis en place des équipes dédiées. Celles-ci ont naturellement continué de travailler durant la crise sanitaire. Et enfin cela s’explique par la société elle-même : les Français ont des besoins RSE de plus en plus importants. Les acteurs du secteur ont continué leurs projets pour être en capacité de répondre aux attentes nouvelles des consommateurs et de leurs clients.

Si l’on entre dans le contenu des politiques RSE, certaines thématiques se détachent. L’une des plus importantes est celle du sourcing de l’offre de produits. Cette dimension représente environ 60 % des actions RSE des distributeurs. Cela se traduit par le développement des filières, notamment locales. Les distributeurs communiquent sur l’importance de proposer des offres locales à leur clientèle, avec une volonté de transparence et de durabilité des filières. Au-delà de l’aspect local, la question des labels est centrale, à l’instar de ceux ayant trait à la pêche durable. Toute cette dimension liée au sourcing des produits constitue, ainsi, la majeure partie des projets RSE du secteur de la distribution hors-domicile.

Il y a aussi la thématique de la logistique. Celle-ci n’est pas nouvelle, puisqu’elle figurait déjà en bonne position dans l’édition 2020 de notre Revue Business Distribution. Elle porte notamment sur la logistique du dernier kilomètre, avec une forte attention accordée au recours à des modes de transport plus propres. Ces politiques requièrent en revanche des investissements importants de la part des distributeurs.

Un aspect plus récent, enfin, se réfère à la gestion des déchets et à la recyclabilité. Cela passe par la mise en place de circuits fermés pour les emballages – via par exemple l’utilisation d’emballages réutilisables plutôt qu’à usage unique. C’est ce qu’il y a de plus novateur concernant ces deux dernières années.

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