Florence Berger (Food Service Vision) : « Le marché de la livraison est porté par des tendances structurelles »

Premier contributeur à la croissance du secteur de la restauration, la livraison s’est durablement ancrée dans les habitudes de consommation des Français en période de crise sanitaire. Florence Berger, directrice associée de Food Service Vision, décrypte pour Actu Retail les principaux déterminants de ce marché.

Que représente aujourd’hui le marché de la livraison de repas en France ? Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur sa croissance et son développement ?

Florence Berger : Nous évaluons le chiffre d’affaires 2020 du marché de la livraison à 4,9 milliards d’euros [NDLR : les chiffres sont issus de la Revue Business Livraison 2021, publiée par Food Service Vision]. Cette année a bien sûr été particulière avec les fermetures ponctuelles de la restauration à table. On estime que la livraison a, dans ce contexte, représenté 15 % du marché total de la restauration. Ce poids sera nécessairement différent en 2021, mais il témoigne de l’important coup de boost dont a bénéficié la livraison pendant la crise sanitaire.

La pandémie a accéléré le développement de ce marché, avec une tendance de croissance de 30 % entre 2019 et 2020. Cette accélération est due à la fois au renforcement de l’offre et de la demande. D’une part, 10 000 nouveaux restaurateurs ont intégré le marché de la livraison, notamment via les agrégateurs [NDLR : les plateformes de mise en relation telles que Uber Eats, Deliveroo ou Just Eat]. D’autre part, la fermeture des restaurants a permis aux acteurs de la livraison de recruter de nouveaux consommateurs, qui ont constitué un levier de croissance important.

La réouverture des restaurants « physiques » va-t-elle marquer un coup d’arrêt dans la progression de la livraison à domicile ? Ou s’appuie-t-elle sur des déterminants structurels et pérennes ?

Florence Berger : Coup d’arrêt, non. Mais les premiers retours que nous avons des décideurs du marché attestent d’un léger ralentissement depuis la réouverture des terrasses. Ce ralentissement, auquel le marché s’attendait, a été anticipé par les acteurs de la livraison, qui déploient en conséquence des mesures d’activation spécifiques (des partenariats sportifs par exemple). L’ensemble de ces actions devrait permettre à la livraison de résister à cette inflexion.

À long terme, nous sommes convaincus que le marché sera porté par des tendances structurelles. S’agissant de la demande, nous observons une évolution naturelle liée à la démographie : la majorité des utilisateurs de la livraison sont des jeunes, dont le pouvoir d’achat va progressivement augmenter. La pérennisation du télétravail devrait également être favorable au marché. Enfin, le caractère fonctionnel et pratique de la livraison constitue un facteur clé de succès.

De même, des leviers de progression existent pour élargir l’offre. Nous considérons qu’un quart des Français n’a pas encore accès à une offre de livraison. Or, les agrégateurs ont de fortes ambitions de développement sur l’ensemble du territoire. Ce maillage territorial va s’accélérer et servir de relais de croissance. Tous ces éléments révèlent que des marges de progression demeurent pour ce secteur, dont le dynamisme est structurel.

De plus en plus de marques exclusivement virtuelles apparaissent : faut-il voir au travers des dark kitchens un simple effet de mode ou une véritable tendance de fond pour l’avenir ?

Florence Berger : Nous ne les considérons absolument pas comme un effet de mode. Le phénomène est multiple : marques virtuelles créées par des restaurants « physiques » mais dédiées exclusivement à la livraison, « dark kitchens » qui n’ont pas de points de vente et proposent uniquement des offres de livraison, etc. Qu’importe leur modèle, ces établissements participent largement à la croissance de ce secteur, en répondant d’une manière optimale aux usages de la livraison.

Il s’agit donc d’un nouveau segment de marché, qui permet aux acteurs concernés de déployer une organisation spécifique aux codes et aux contraintes de la livraison. Avec des logiques différentes de celles de la restauration sur place, l’enjeu clé étant celui de la vitesse. Cela nécessite d’avoir une offre plus réduite et des équipes adaptées. Des modèles omnicanaux restent possibles, combinant restauration sur place, vente à emporter et livraison. Mais nous allons assister à la multiplication de formats consacrés à 100 % à la livraison, dont les dark kitchens sont, à cet égard, un exemple frappant.

Par ailleurs, des acteurs structurés de type dark kitchens font des levées de fonds conséquentes et affichent de grandes ambitions, tels que Not So Dark et Dévor. Ces acteurs, qui n’opèrent qu’en livraison, possèdent différentes marques et visent une implantation large en France et en Europe. Le dynamisme de ces entreprises témoigne de l’attractivité du phénomène des dark kitchens.

Certains restaurants traditionnels développent une offre de livraison à domicile, en plus de l’accueil sur place de leur clientèle : est-ce une tendance marginale liée à la crise ou, au contraire, cette omnicanalité va-t-elle se développer ?

Florence Berger : L’année 2020 a augmenté l’usage de la livraison auprès de nombreux restaurateurs. C’est vrai non seulement pour la restauration rapide, mais aussi pour la restauration à table. Une partie de ces professionnels abandonnera la livraison du fait de la réouverture de leur établissement, mais d’autres pourront inscrire la logique omnicanale dans le temps.

Ce qu’il sera intéressant d’analyser dans les prochaines semaines, c’est à quel point les acteurs omnicanaux vont distinguer leurs offres destinées au service à table et à la livraison. Il est évident que ce modèle mérite d’être affiné, tant dans le type de plats proposés et la communication déployée que dans sa mise en œuvre opérationnelle. La coexistence de tous ces canaux est un vrai enjeu, afin de garantir la meilleure expérience possible en livraison ou sur place. Et elle nécessitera une professionnalisation des restaurateurs qui voudront investir dans ces deux modèles pour atteindre leur clientèle.

Le principal avantage de proposer un service à table et à la livraison est la diversification des risques. Avec la crise sanitaire, nous avons assisté à un jeu de vases communicants entre les flux de livraison et la fréquentation sur place des établissements. Les acteurs forts d’un modèle diversifié sont ceux qui ont le mieux résisté à la crise. L’omnicanalité va être un facteur de résilience, mais cela exige de la finesse dans l’exécution.

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