Valentin Auvinet (Decathlon) : « Le métavers, un moyen de se rapprocher du client »

Enseigne iconique du monde du sport, Decathlon fait le pari du Web3 en se tournant vers les promesses du métavers, de la blockchain ou bien encore des NFT. Valentin Auvinet, Chief Metaverse Officer, a pour mission de guider l’entreprise dans le champ complexe de ces innovations. Rencontre avec Actu Retail.

En quoi consiste le rôle de Chief Metaverse Officer au sein d’une enseigne comme Decathlon ?

Valentin Auvinet : En réalité, mon poste concerne bien plus que le seul sujet du métavers. J’ai pour rôle de mener Decathlon dans l’exploration du Web3. Celui-ci recouvre de nombreux aspects, parfois très différents les uns des autres. Il était donc intéressant pour l’enseigne d’identifier un collaborateur chargé de repérer les opportunités en la matière. Mon périmètre comprend les thématiques non seulement du métavers et du gaming, mais également de la blockchain, des NFT et des cryptomonnaies.

Vous avez initié une opération remarquée, impliquant des NFT. De quoi s’agit-il ?

Valentin Auvinet : Nous avons en effet lancé une gamme de chaussures de sport, les sneakers Kipsta Barrio, associées à des NFT. Cette collection a été créée en collaboration avec Séan Garnier, champion du monde de football freestyle. 2 008 paires ont été commercialisées de la sorte, en référence à l’année de son premier titre de champion. Les sneakers sont, de base, un produit très apprécié de nos clients et nous souhaitions lui adjoindre une dimension digitale. Ceci en lien avec la communauté de Séan Garnier, qui rassemble environ vingt millions de followers sur les réseaux sociaux. Il est lui-même ultra connecté et possesseur de NFT. Le moment nous a semblé idéal pour créer un NFT et lancer une telle collection.

Concrètement, ce NFT consiste en une carte livrée en même temps que la chaussure. Vous y trouvez dessus un QR code, qui donne ensuite accès à toute une série d’expériences spécifiques. Le possesseur du NFT peut ainsi visionner des live vidéos, échanger avec d’autres acheteurs dans le cadre d’une communauté Discord et se rendre au Barrio Club. Ce dernier est un espace virtuel accessible sur mobile, ordinateur et masque VR type Oculus, qui sert de lieu de rassemblement immersif en trois dimensions.

Dans le Barrio Club, le possesseur du NFT peut découvrir les collections, manipuler les produits et interagir avec eux. On y retrouve également les coulisses des différents tournages. Nous avons ouvert une Conception Room, où les « NFT holders » peuvent donner leur avis sur les prochaines collections. C’est une façon de les impliquer dans un modèle de co-conception, pour parvenir à des produits qui leur ressemblent et qu’ils seront susceptibles d’aimer. Enfin, des live vidéos avec Séan Garnier sont accessibles depuis une Conference Room, avec la possibilité de poser ses questions, d’échanger avec lui, etc.

L’objectif était d’écrire une nouvelle histoire grâce aux NFT, à partir d’un objet – la chaussure – et d’une collaboration avec Séan Garnier. Tout en apportant quelque chose d’innovant, à la fois immersif et utile. Nous avons, par exemple, incorporé une quête façon jeu vidéo au sein de ce monde virtuel, permettant aux vainqueurs de gagner un ballon dédicacé. Nous allons ajouter des événements au fur et à mesure pour que les clients concernés puissent continuer à échanger entre eux.

Au-delà des NFT, Decathlon est de plus en plus présent dans l’univers du jeu vidéo. Dans FIFA 23, les équipements de Nîmes et de Nancy ont été conçus par l’enseigne et se retrouveront dans le jeu. De même que certains ballons. Les vélos Van Rysel sont pour leur part présents dans Zwift. Nous sommes également en discussion pour insérer la Barrio dans The Sandbox. C’est-à-dire que l’avatar des possesseurs d’un NFT pourra porter les sneakers, à la manière d’un double numérique.

Quels ont été les résultats, en termes d’engagement client, de cette opération associant la Barrio à des NFT ?

Valentin Auvinet : Nous nous sommes rendu compte que 70 % des clients qui détiennent un NFT se sont connectés au Barrio Club, avec une moyenne de visites supérieure à quatre. Nos live vidéos ont par ailleurs été de vrais succès, à tel point que nous avons dû basculer vers Zoom en raison d’un trop grand nombre de participants. Sur la partie co-conception, 75 % des visiteurs du Barrio Club ont au moins émis un avis. Tout cela mis bout à bout, on en conclut que l’engagement a été conséquent. Un simple formulaire envoyé en post-achat ne nous aurait pas permis d’atteindre de tels résultats.

Bien sûr, l’effet nouveauté y a joué pour beaucoup. Nous allons réitérer l’opération sur d’autres produits et avec des publics différents. Pour la Barrio, nous avions visé des consommateurs jeunes et ultra connectés, déjà au fait de ce que sont les NFT. Notre prochaine cible sera plus âgée. Il sera intéressant de regarder si nous parvenons à atteindre des taux de rétention ou de fréquence similaires. C’est encore un mystère !

Quelles opportunités le Web3 représente-t-il pour un retailer comme Decathlon ?

Valentin Auvinet : S’agissant des NFT, l’usage qui en est fait est primordial. Il ne s’agit pas de créer un NFT pour créer un NFT. Notre parti pris a été de l’offrir – ce qui sort de l’ordinaire – et de lui associer une réelle utilité à la fois pour le client et pour l’enseigne. À partir de là, les usages imaginables sont extrêmement nombreux. Nous pourrions tout à fait imaginer une billetterie sous forme de NFT. Le fait d’être titulaire d’un NFT pourrait permettre d’assister à un match de Ligue 1 par exemple.

Ce qui compte, c’est l’interopérabilité du NFT. Quand on parle de double numérique, l’idée est de pouvoir utiliser un objet dans un autre univers. Un vélo pourra être débloqué dans un jeu vidéo s’il est possédé dans la vie réelle. Les objets Decathlon pourront ainsi être utilisés dans des univers virtuels où nous étions jusqu’ici peu présents. Cela a une dimension internationale, avec la possibilité d’atteindre des sportifs de parties du monde dans lesquelles notre ancrage serait moins développé.

Le NFT pourra aussi de servir de certificat pour un produit, comme un vélo. Toutes les données relatives à son entretien seraient alors stockées dans le jeton numérique. Au moment de la revente, il sera possible de vérifier que vous êtes bien le propriétaire du vélo, quelle en a été l’utilisation, etc. Les usages potentiels sont multiples et attendent encore d’être découverts. Mon rôle est d’ouvrir les esprits, pour que les concepteurs Decathlon accélèrent dans cette voie.

En outre, la force du Web3 est d’ouvrir le monde du jeu vidéo à des enseignes et des publics qui n’ont pas forcément entendu parler de Minecraft, de Roblox ou de Fortnite. Le marché du jeu vidéo représente une opportunité colossale, supérieure à celle de la musique et du cinéma réunis. Tous les jeunes y sont – et mêmes les moins jeunes via les smartphones. C’est un nouveau média pour les retailers, qui permet de s’adresser à une clientèle plus jeune et moins consommatrice de télévision ou d’Internet – hors réseaux sociaux. 

Quelle articulation voyez-vous entre les mondes physique et digital ?

Valentin Auvinet : Le monde virtuel n’est en aucun cas un compétiteur du monde physique. Si Internet et les jeux vidéo ont connu un essor incroyable ces dernières années, le sport n’a pas disparu pour autant. Je crois beaucoup dans l’aspect communautaire du sport : les clubs, les ligues et les associations ne sont pas voués à disparaître non plus. Il faut voir le digital comme un complément. Ce sont des usages qui viennent répondre à des problématiques rencontrées dans certains sports.

Par exemple, des pongistes utilisent des casques VR pour s’entraîner à jouer au tennis de table. Cela résout une problématique évidente : pour jouer au ping-pong, il faut une table. C’est volumineux et cela a un coût, sans compter le fait de devoir trouver un adversaire. Une expérience en réalité virtuelle permet de lever ces contingences. Instantanément, il est possible d’avoir une expérience sportive avec quelqu’un de son niveau. Cela ouvre de nouvelles perspectives. Dans le même esprit, certains jeux de kayak sont désormais particulièrement réalistes et permettent de s’évader dans le Grand Canyon pendant trente minutes de pause. Mais cela ne remplace en aucune façon le vrai kayak.

Il arrive même que des jeux venant du virtuel débarquent dans le monde physique. C’est le cas du Hado au Japon, à savoir une balle au prisonnier en réalité augmentée, qui est devenu une pratique sportive à part entière avec une ligue, des émissions de télévision et un championnat du monde. 

Autre illustration de cette complémentarité entre le physique et le digital : celle du Netaverse porté par les Brooklyn Nets et Canon. Ce monde virtuel permet aux fans de NBA de suivre un match de basket en direct depuis son canapé, à travers une expérience immersive. Ils peuvent ainsi se déplacer sur le parquet, choisir leur place dans le stade ou bien encore revoir leurs actions préférées. Pour un fan de basket ne pouvant pas se déplacer au stade tous les quinze jours, c’est l’assurance de pouvoir profiter de sa passion malgré les obstacles physiques. L’événementiel va aussi devenir digital, mais les stades resteront pleins. 

Existe-t-il encore des réticences à l’égard des innovations liées au Web3 ?

Valentin Auvinet : J’observe trois types de réactions vis-à-vis de ces nouveaux enjeux. Il y a d’abord les individus ultra convaincus, qui testent et s’engagent pleinement dans cette direction. Ensuite, il y a ceux qui ne veulent surtout pas y aller, notamment vers les métavers. Cela s’explique par une peur à l’égard de ces univers immersifs, potentiellement contrôlés par des entreprises et à des fins négatives. Des films comme Ready Player One ou Matrix illustrent cela. C’est comme Internet : ce n’est ni une bonne ni une mauvaise chose en soi, tout dépend de l’usage que l’on en fait. Enfin, on retrouve les individus passifs, qui attendent de voir s’il y a une adoption massive avant de prendre part aux métavers ou aux NFT.

Malgré leur essor, rappelons tout de même que ces notions sont globalement assez peu connues de nos clients. En début d’année 2022, seuls 8 % des Français possédaient des cryptomonnaies. Bien que ce chiffre soit en constante augmentation, nous ne pouvons pas considérer qu’il s’agit d’un sujet grand public. L’usage devrait permettre de démocratiser ces concepts.

Et il faut avouer que leur utilisation n’est pas toujours évidente. Pour stocker un NFT, il faut ouvrir un cryptowallet et comprendre son fonctionnement. Un important travail d’éducation reste à faire. Personne ne peut savoir quelle sera la situation d’ici trois ou cinq ans. Le changement passera certainement par des game changers. Au moment de la sortie de l’iPhone, le smartphone existait déjà mais Apple a su proposer un produit révolutionnaire en termes d’usage et établir un standard de marché. Je pense que nous assisterons à un processus similaire pour les métavers et les NFT.

Y a-t-il des innovations qui vous ont récemment marqué ?

Valentin Auvinet : Je suis certaines plateformes comme Ready Player Me, qui est un générateur d’avatars interopérables. Un utilisateur crée son avatar virtuel, l’habille et intègre son personnage numérique unique auprès de plus de 2 000 partenaires. Le Barrio Club est d’ailleurs compatible avec cette technologie.

Je m’intéresse également à Mojo Vision, une entreprise qui produit des lentilles de contact avec écran intégré. Le premier cas d’usage que propose la société est celui du sport. Nous pourrions également citer l’éditeur de jeux vidéo Epic Games, créateur de Fortnite et qui maîtrise l’ensemble de la chaîne numérique via le moteur graphique Unreal. La frontière entre le réel et le virtuel est dans certains cas difficile à tracer. Les dernières vidéos de Kayak VR sont par exemple bluffantes de réalisme.

Enfin, il faut forcément suivre Meta. L’entreprise est le numéro un mondial des casques VR par le truchement d’Oculus. De prochains modèles sont attendus, de plus en plus puissants et immersifs. Il y a fort à parier qu’Apple lancera ses propres lunettes. Petits ou grands, les acteurs innovants sont nombreux sur le marché du Web3.

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