Thierry Spencer (Académie du Service) : les six tendances clés de la relation client en 2021

Thierry Spencer est directeur associé de l’Académie du Service et auteur du blog « Sens du client ». Chaque année, il publie un livre blanc dans lequel sont analysées les grandes tendances à venir de la relation client. Dans son édition 2021, l’expert et conférencier définit le consommateur en six mots clés : frugal, attentif, distant, sécurisé, intense et polarisé. Il précise, pour Actu Retail, quelles sont les nouvelles attentes des clients et leur prise en compte par les acteurs du secteur de la distribution.

Quelques semaines avant votre conférence de présentation des tendances 2021 de la relation client, vous avez demandé aux lecteurs de votre blog de qualifier cette année au travers d’un adjectif. C’est une grande incertitude qui en est ressortie. Aujourd’hui, nous sommes à mi-chemin de l’année 2021 : cette incertitude est-elle toujours aussi prévalente ?

Thierry Spencer : Il me semble que oui. Ce sentiment prédomine chez les professionnels, parce que de nombreuses questions se posent encore sur la sortie de crise. D’un point de vue économique, les inquiétudes perdurent. Beaucoup d’entreprises se demandent ce qu’il va rester de cette crise et des comportements qu’elle a suscités ces dix-huit derniers mois. Pour le retail, cela concerne notamment les usages de la relation à distance, au travers du live shopping, des solutions de visioconférence ou bien encore du click and collect. Une interrogation est de savoir si nous allons connaître un effet cliquet : un retour à la vie d’avant-crise est-il réellement possible ?

L’un des enjeux majeurs sera d’observer la façon dont va s’organiser l’hybridation des canaux, entre humain et digital. Cette hybridation est ancienne, mais elle a connu une accélération sans précédent depuis le début de la crise. Des entreprises proposent des services inédits : je pense, par exemple, au dépannage à distance de Leroy Merlin, à la téléassistance de Decathlon ainsi qu’au vidéo shopping de Natalys. La distribution traditionnelle a adopté les codes de la relation à distance et cela induit, pour l’avenir, plusieurs questionnements. Les clients se sont-ils habitués à ces pratiques ? Les enseignes doivent-elles continuer à proposer ce mix diversifié de solutions ? Comment organiser les équipes et les processus, entre e-commerce, click and collect et distribution physique ? Autant d’interrogations en suspens pour les mois et les années à venir.

Les standards de la relation client ont évolué de manière significative. Une expression du sociologue et philosophe Gilles Lipovetsky l’illustre bien : il considère ainsi que le consommateur est devenu un collectionneur d’expériences. Je pense que, à cet égard, l’année 2020 a permis de démultiplier les expériences : avoir une jauge dans un magasin, respecter les gestes barrières, prendre rendez-vous pour se déplacer en boutique, adopter l’achat en drive, etc.

Les deux premières tendances que vous identifiez, dans votre livre blanc, sont celles de la frugalité et de l’attention. Vous parlez notamment d’enjeu prix, du marché de l’occasion, du nudge marketing ou d’entreprise soignante. En quoi la crise sanitaire a-t-elle modifié notre rapport à la consommation sur ces aspects ?

Thierry Spencer : Cette crise n’a pas révélé de nouvelles tendances, mais les a accélérées. Elle a été l’occasion, pour les consommateurs, de s’interroger sur leurs habitudes de consommation et donc de procéder à des arbitrages. Le Bon Coin est passé de 28 millions d’annonces en ligne en janvier 2020 à 44 millions en avril 2021. Le marché de l’occasion est devenu incontournable : l’ouverture d’un premier magasin Ikea de seconde main en Suède, à l’automne 2020, en est un symbole. Tous les distributeurs proposent désormais cette offre mais cela n’est pas nouveau : le Trocathlon existe bien depuis plusieurs dizaines d’années chez Decathlon. Les clients sont désormais suffisamment mûrs pour envisager des consommations alternatives.

Quand je parle de frugalité, je renvoie à la recherche de simplicité et d’une consommation responsable. Le slogan d’Aldi, « Place au nouveau consommateur », est singulier car il fait référence à une façon différente et raisonnée de consommer. L’enseigne a connu une croissance de 12 % en 2020 et Lidl de 16 %, soit deux fois plus que le marché des produits alimentaires et de la grande consommation, selon Kantar. Avec la crise sanitaire, le discount a bénéficié d’un retour en grâce. Action fait même partie des enseignes préférées des Français.

Les succès de Vinted ou de Back Market, qui a levé plusieurs millions d’euros en 2020, traduisent incontestablement un mouvement vers une consommation plus responsable. Le Baromètre des nouvelles tendances de consommation, publié par Wavestone, souligne que 73 % des Français veulent consommer responsable. L’écart entre ce souhait et la réalité, c’est-à-dire la proportion de Français qui achètent effectivement de façon responsable (48 %), est de 25 points. Cet écart est le plus faible dans la catégorie des produits alimentaires, où il ne représente que 7 points. Le fossé ne cesse de se réduire entre l’intention et la réalité. Les enseignes de distribution accordent ainsi de plus en plus d’importance à l’occasion, à la provenance des produits, à l’affichage du Nutri-Score, etc. Cela correspond à un besoin réel des consommateurs.

Si la crise n’a pas fondamentalement modifié notre rapport à la consommation, elle a accéléré des comportements spécifiques. Quand je parle de client attentif, je fais notamment référence à une sensibilité accrue aux standards de propreté et d’hygiène. Certaines initiatives sont très bien perçues par les consommateurs, telles que le paiement sans contact, la détection automatique des articles ou la réception dématérialisée du ticket de caisse. Ces pratiques entrent dans les mœurs des distributeurs, car ils ont conscience que le moment est idéal pour se distinguer en déployant les usages responsables auxquels aspirent leurs clients.

Vous évoquez ensuite deux autres tendances : la distance et la sécurité. Les canaux non physiques vont-ils s’inscrire dans le temps, au-delà de l’épisode sanitaire que nous venons de traverser ? À quel point la protection devient-elle un sujet majeur pour les consommateurs ?

Thierry Spencer : Il est pertinent d’associer distance et sécurité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : huit Français sur dix ont acheté à distance en 2020. Cela représente 1,5 million de personnes supplémentaires en une année, d’après l’Observatoire des usages internet de Médiamétrie. Le nombre total de transactions concernées s’élève à 1,84 milliard. La vente à distance a connu un boom considérable. Ces nouvelles expériences impliquent des attentes inédites sur les délais de livraison, de remboursement, de prise en compte des réclamations, etc. Au-delà du secteur de la distribution, la Caisse primaire d’assurance maladie a recensé 19 millions de téléconsultations médicales l’année dernière en France. Ce qui en fait un changement structurant.

Nous sommes dans une phase où les distributeurs doivent considérer quel va être le poids de certains canaux. La croissance des relations à distance s’accompagne, bien sûr, de nouveaux enjeux. En premier lieu, se trouve la reconnaissance du client. Qui dit e-commerce, drive ou click and collect, dit création d’un compte client. Il est amené à s’inscrire, à renseigner un mot de passe et à développer une relation plus riche avec les enseignes auxquelles il accorde sa confiance.

La gestion de ces données est synonyme d’un enjeu fort de sécurité informatique. Il va falloir relever le défi de ce que les ingénieurs appellent le « Zero Trust », tout en garantissant une expérience client simple et accessible. Les investissements dans la sécurité des données vont augmenter et les distributeurs vont donc devoir trouver un juste équilibre, entre la mise en place de protocoles pénibles pour le consommateur et une expérience utilisateur réussie. Or, en France, nous avons encore des progrès à faire en matière d’hygiène et de sécurité. Les mots de passe sont généralement peu complexes et utilisés sur plusieurs sites, alors que les enjeux de paiement sont plus importants que jamais.

Les réglementations « Know Your Customer » (KYC), en vigueur pour les banques, devraient bientôt devenir une obligation également pour les retailers. Demain, il sera plus difficile de s’inscrire ou de payer en ligne, le risque étant de nuire à l’expérience client. Il est probable, dès lors, que les consommateurs s’orientent vers des retailers de confiance, plutôt que des enseignes dont ils ne connaissent ni la nationalité ni la fiabilité.

Enfin, vous soulignez les tendances dites de polarité et d’intensité. L’acte d’achat est-il devenu un support d’expression en ce qui concerne les valeurs et les convictions du consommateur, plutôt qu’une habitude froide et mécanique ?

Thierry Spencer : Des précautions s’imposent. D’un côté, des indices suggèrent que oui, l’acte d’achat est devenu un support d’expression de valeurs et de convictions. Le bio a trouvé sa place dans notre quotidien : sans que ce ne soit une révolution, il s’agit d’un premier signe. La recherche d’une consommation plus responsable incite certaines entreprises emblématiques, par exemple de la fast fashion, à se poser la question de leur acceptabilité. Le Black Friday est-il lui-même acceptable, dans la durée, aux yeux des consommateurs ?

De l’autre, les arbitrages demeurent difficiles. Le portefeuille ne suit pas toujours et les habitudes ont la vie dure. La majorité des Français se rendent souvent dans le même supermarché, de façon régulière et mécanique. Il existe une vraie tension entre cette volonté d’expression au travers de sa consommation et la réalité de sa manifestation.

Je parle de polarité puisque cette expression va surtout prendre la forme du boycott. Amazon incarne, typiquement, cette polarité. L’entreprise ne cesse de croître en France et entre dans notre vie quotidienne, en achetant notamment les droits de Roland-Garros. En parallèle, les citoyens ne se sentent pas forcément à l’aise avec ce qu’ils entendent du modèle social du géant américain et de son impact environnemental. Nous nous dirigeons, dans les années qui viennent, vers une plus grande polarité avec des choix forts qui pourront se matérialiser par un boycott. Le quick commerce, porté par sa promesse de livraison en dix minutes, va lui aussi susciter des débats. De plus en plus de sujets vont ainsi polariser les clients, autour de logiques pour ou contre.

Ce mouvement va contraindre les entreprises à affirmer leur positionnement et à se distinguer par leurs valeurs. Elles vont devoir valoriser ce en quoi elles croient, au risque de s’exposer. Les clients attendent des enseignes, producteurs comme distributeurs, qu’elles entrent dans le débat public et prennent position. Nous avons d’ailleurs franchi, en France, le seuil de 200 entreprises ayant adopté le statut de société à mission. Les consommateurs seront toujours plus sensibles à l’origine des produits ou au traitement des collaborateurs, demanderont des comptes et exigeront davantage de transparence. En cela, la crise ne révèle pas de nouvelles tendances mais met l’accent sur des mouvements de fond qui vont s’accentuer.

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