Crédit : Edouard Jacquinet

Raphaëlle Béguinel (easiware) : « La relation client est un levier stratégique pour les marques »

Plateforme omnicanale de gestion des interactions avec les consommateurs, easiware publie depuis six ans son Baromètre des KPIs de la Relation Client aux côtés de l’Université Paris-Dauphine et de l’Amarc (Association pour le management de la relation client). Raphaëlle Béguinel, directrice marketing et communication d’easiware, expose auprès d’Actu Retail les enseignements clés de cette étude.

Vous venez donc de publier la sixième édition du Baromètre des KPIs de la Relation Client. Pourquoi avoir souhaité, depuis six ans, mener une telle étude ? En quoi la relation client doit-elle se situer au cœur de la stratégie des entreprises et des marques ?

Raphaëlle Béguinel : Si l’on retrace l’historique du baromètre, l’étude a beaucoup évolué et pris de l’ampleur en six ans. Elle est née de la volonté de collecter des tendances marché en termes de pilotage des services clients. Ce travail s’est initialement construit autour de l’analyse de KPIs, afin de mettre en avant ceux qui sont les plus suivis par les professionnels de la relation client.

Il y a trois ans, nous avons souhaité aller au-delà de la publication de chiffres. Ce tournant s’est traduit par l’intégration, dans le baromètre, d’une réflexion autour du niveau de maturité des entreprises et des marques en matière de relation client, pour leur permettre de se situer les unes par rapport aux autres. Cela nous permet ainsi de formuler des recommandations par groupe de maturité (classiques, basiques ou polyvalents). Nous y avons également ajouté une note d’orientation client, des analyses sectorielles ainsi que, cette année, un focus sur les dix-huit mois de crise Covid que nous venons de traverser.

Chez easiware, nous défendons l’idée que la relation client est un levier stratégique pour les marques. Jusqu’à la fin des années 2000, les entreprises cherchaient davantage à se différencier de la concurrence grâce à l’offre, le produit ou le service vendu. Des concessions assez importantes pouvaient être consenties à l’égard de l’expérience et de la relation client. D’où le fait que, historiquement, le service client est considéré comme un centre de coût plutôt qu’un centre de profit. Heureusement, c’est de moins en moins le cas.

La plupart des entreprises ont mis du temps avant de se rendre compte de la valeur de ce service. Désormais, les entreprises se différencient davantage par le biais de l’expérience client : c’est ce qui explique qu’un consommateur se montre fidèle à une marque plutôt qu’à une autre. Quand un client rencontre un souci par rapport à un produit ou à sa livraison et que ce problème est rapidement résolu, il est à même de se projeter dans le temps avec la marque concernée. Au travers de notre baromètre, nous cherchons à affirmer le caractère stratégique de la relation client.

Vous distinguez trois types de marques dans leur relation avec les clients : les basiques, les classiques et les polyvalentes. Comment caractérisez-vous ces trois niveaux de maturité ? Les entreprises et les marques sont-elles, en 2021, plus matures dans leur orientation client qu’auparavant ?

Raphaëlle Béguinel : Si l’on détaille groupe par groupe, celui des basiques demeure le moins avancé dans le pilotage de la relation client. 52 % d’entre eux proposent, en 2021, un service client majoritairement monocanal. C’est ce groupe qui obtient la note d’orientation client la plus faible, à savoir 1,35 sur 5 contre presque 3 pour celui des polyvalents. Les basiques ne sont que 17 % à disposer du canal chat, alors que cette statistique est de 58 % pour les polyvalents.

Outre le faible nombre de canaux proposés, ces entreprises mesurent peu la satisfaction client et la performance de leurs communications. Sans instruments d’analyse, difficile de savoir comment progresser. Notre recommandation est donc avant tout de déployer d’autres KPIs et de se servir du contexte de crise pour challenger le mode d’organisation du service client. Ce sont des marques qui, à terme, vont pâtir de ce manque d’investissement.

Les classiques constituent un groupe intéressant et pour lequel notre analyse a évolué dans le temps. En première lecture, notre interprétation a été celle d’un manque de maturité intermédiaire. C’est-à-dire un groupe qui propose plus de canaux que celui des basiques, mais de façon silotée et non centralisée comme les polyvalents. La note d’orientation client des classiques se situe à mi-chemin des deux autres groupes. Et si 65 % d’entre eux mesurent la satisfaction du consommateur, l’on reste loin du taux de 100 % mesuré chez les polyvalents.

En creusant l’analyse, nous nous sommes rendus compte qu’il s’agit, pour certaines marques dites classiques, d’une stratégie assumée de se concentrer sur les canaux traditionnels (mail et téléphone) pour assurer un bon niveau de performance. Souvent, elles s’adressent en priorité à des publics plutôt seniors et s’adaptent en conséquence à leurs cibles. C’est la notion d’efficacité qui prime, même si elles ont encore une marge de progression sur le pilotage et la mesure de la satisfaction client.

Les polyvalents, enfin, représentent le groupe dont le degré de maturité est le plus important. Ils proposent de nombreux canaux de communication avec leurs clients, obtiennent les meilleurs taux de performance et mesurent tous la satisfaction du consommateur après un contact. Leur note d’orientation client est d’ailleurs la plus élevée et le multicanal est géré de façon centralisée. Les polyvalents sont aussi ceux qui assument le plus grand volume de demandes : 55 % d’entre eux traitent plus de cent mille demandes par an.

Pour autant, ils ne sont encore que la moitié à proposer une relation client omnicanale. Ils ont, de plus, un axe de progression autour du selfcare, via le développement de communautés d’assistance. Et ils doivent s’inscrire véritablement dans une démarche de promotion des résultats qu’ils obtiennent dans cette relation client, tant auprès des autres services internes à l’entreprise qu’auprès du grand public.

S’agissant de l’évolution des trois groupes par rapport à l’an dernier, nous avons observé que la proportion de basiques dans le nombre total de répondants est restée la même. Mais les performances ont progressé au sein de ce groupe, notamment sur le recours au canal chat et sur la qualité du service rendu par téléphone. En revanche, nous avons constaté que le nombre de répondants dits classiques a diminué, là où le pourcentage de polyvalents a augmenté. Nous pouvons interpréter que l’année Covid a encouragé les entreprises à se diversifier et à se diriger vers plus d’omnicanalité et de mesure de la satisfaction client, pour relever le défi du contexte sanitaire.

Précisément, qu’a changé la Covid-19 dans la pratique des entreprises et des marques en matière de relation client ? A-t-elle marqué une rupture ou seulement une accélération de tendances déjà existantes ?

Raphaëlle Béguinel : La crise n’a pas marqué de rupture. Les entreprises ont été amenées à se concentrer sur l’essentiel, sachant que l’impact direct de la Covid-19 a été une hausse des demandes clients reçues, pour 44 % des entreprises répondantes, et un plus fort engagement des collaborateurs ressenti par la moitié d’entre elles. Seule la généralisation du télétravail, subie, peut faire figure d’élément de rupture puisque ce format était peu connu des services clients.

Pour le reste, il s’agit plutôt d’une accélération de tendances ou de bonnes pratiques déjà existantes. Par exemple, 45 % des répondants ont accéléré sur des projets e-commerce initiés avant la crise. De même, ils sont 31 % à avoir développé du selfcare : cela a été un vrai levier pendant la crise que de permettre aux clients d’être aussi autonomes que possible dans la résolution de leurs problèmes, pour que les marques puissent se concentrer sur les demandes les plus complexes.

Nous avons obtenu, en outre, des résultats a priori contre-intuitifs. En effet, nous aurions pu nous attendre à des réorganisations profondes des services clients : il n’en a rien été, puisque seulement 20 % des entreprises ont procédé à des ajustements en termes de responsabilité et de périmètre. Pas plus de 10 % d’entre elles ont ouvert de nouveaux canaux chauds digitaux, comme le chat.

Lors de l’événement de lancement du baromètre, le 25 juin dernier, la directrice de l’expérience client et de l’innovation du groupe Bayard, Catherine Veillet-Michelet, soulignait que toute réorganisation et toute ouverture d’un nouveau canal représente un effort pour ces services. Cela exige de la formation et des ressources dont ils ne disposent pas en contexte de crise. Et si une marque ouvre un nouveau canal dans une telle période et ne le maîtrise pas, cela peut lui être préjudiciable.

Vous faites un focus spécifique sur certains secteurs, dont celui de la distribution et de la grande consommation. Quelles en sont les spécificités ? Les distributeurs sont-ils des acteurs matures, comparativement à d’autres secteurs, dans la façon d’entretenir du lien avec leurs clients ?

Raphaëlle Béguinel : Effectivement, nous avons analysé spécifiquement quatre secteurs [NDLR : banque et assurance, distribution et grande consommation, services aux entreprises, industrie, énergie et télécoms]. Celui de la distribution et de la grande consommation détient la plus forte proportion d’entreprises matures, à savoir 67 % des entités répondantes. Le secteur a connu un vrai élan sur l’accélération des projets e-commerce (58 % de professionnels concernés). Les distributeurs ont dû absorber une hausse des demandes clients plus importante que les autres secteurs, puisqu’ils sont 62 % à avoir été dans ce cas. Ils ont développé du click and collect, proposé de la livraison et augmenté leurs effectifs pour 30 % d’entre eux, contre 5 % pour les autres.

Le secteur a été proactif dans la gestion des enjeux de la relation client pendant la crise. 41 % des entreprises qui le composent ont mis en place des reportings plus poussés ou suivi de nouveaux KPIs. Elles ont été dans l’action, tout en se donnant les moyens d’analyser l’efficacité des mesures adoptées. C’est le secteur le plus mûr qu’on ait pu identifier en matière de service client, lui qui n’a pas du tout été en pause pendant cette année Covid et qui a dû faire face à des demandes importantes. Son caractère de secteur essentiel a repris tout son sens à l’aune de cette épreuve.

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