Jérôme Sussfeld (Nestore) : « Le pop-up store, un outil pour diminuer le risque financier des marques et accroître leur agilité »

Réenchanter le commerce en centre-ville : tel est l’objectif de Jérôme Sussfeld et Mathieu Grandjean, tous deux fondateurs de Nestore. En créant un réseau de pop-up stores laboratoires, ils anticipent le commerce de demain en combinant agilité et flexibilité, ainsi que les approches digitale et physique. Jérôme Sussfeld, CEO de Nestore, répond aux questions d’Actu Retail

Pourquoi le pop-up store ?

Jérôme Sussfeld : Il y a plusieurs réponses. C’est d’abord lié à une envie qui remonte à l’origine du projet Nestore. Cette envie, c’est de réenchanter le commerce de centre-ville. Avec Mathieu, nous partageons la conviction que le lieu physique n’est pas bien traité et qu’il faut repenser la façon de concevoir l’expérience en son sein. Nous nous sommes rendus compte que le levier du pop-up store n’était pas utilisé par un nombre important de marques et qu’il restait beaucoup d’acteurs à sensibiliser.

Ce besoin en pop-up est réel non seulement pour les marques DNVB en cours de lancement, mais également pour des enseignes de plus grande taille. Le pop-up store apporte une brique complémentaire dans le secteur du retail, en étant synonyme d’agilité et de flexibilité. C’est son plus gros atout ! L’accroissement du recours au digital, ces dernières années, a mis en lumière cette nécessité de fluidité et de simplicité qui n’existait pas sous cette forme-là dans le retail.

Le pop-up store est un formidable outil pour tester de nouvelles choses. Il permet à la fois de diminuer l’engagement financier d’une marque – comparativement à l’ouverture d’une boutique permanente – et de gagner en rapidité pour opérer un essai. Ce sont ses deux bénéfices clés : la diminution du risque financier et du temps passé à développer un projet. Nous proposons aux marques d’itérer leurs nouveaux projets en ayant recours à un pop-up, ce qui permet de construire des concepts avec de l’A/B testing et l’intégration des retours des consommateurs.

Il existe à mes yeux des préjugés autour du lieu physique, majoritairement considéré par les retailers comme un centre de chiffre d’affaires et de rentabilité pure. Pour notre part, nous le voyons surtout comme un média et un moyen de développer l’expérience et la fidélité des clients. C’est le sens du pop-up, qui permet d’optimiser les concepts et de les enrichir grâce aux retours clients. Le pop-up store représente un bon équilibre entre physique et digital.

Quels sont les besoins identifiés par les marques qui souhaitent se lancer dans l’aventure d’un pop-up store ?

Jérôme Sussfeld :  Le besoin varie beaucoup d’une marque à l’autre. Notre enjeu est justement de creuser et de bien comprendre leurs objectifs, afin de définir le meilleur concept pour les atteindre. En synthèse, le premier besoin que nous rencontrons porte sur de la rentabilité pure, notamment pour des marques en croissance qui aspirent à se faire connaître et à développer leur chiffre d’affaires. Le deuxième besoin possible va être de l’ordre de l’acquisition, en raison pour partie d’une explosion des coûts d’acquisition digitaux. Nous avons travaillé avec les Raffineurs, Ysé ou Soi pour faire du pop-up store un levier d’acquisition et le rentabiliser ensuite en ligne.

Il peut y avoir, enfin, un besoin de notoriété. Dans ce cas, les opérations vont être différentes. C’est ce sur quoi nous avons travaillé avec Ulé, une nouvelle marque qu’il a fallu faire émerger. L’approche peut porter sur le point de vente en lui-même, en mettant au cœur de nos réflexions les aspects relatifs à l’expérience en magasin. Avec 24S, nous avons mis à l’honneur des pièces iconiques de la mode avec des pâtisseries en trompe-l’œil, pour une dégustation à la fois visuelle et gustative dans un lieu éphémère. Nous pouvons aussi opter pour une approche mono-produit. C’est ce que nous avons fait avec Make My Lemonade autour des sacs bananes. L’idée était autant de communiquer que de tester l’appétence des consommateurs pour un nouveau produit.

Vous êtes propriétaires à ce jour d’une vingtaine de pop-up stores. Comment les mettez-vous à disposition des marques ?

Jérôme Sussfeld : Nous sommes en effet gestionnaires, notre souhait ayant été de disposer en propre d’un réseau de boutiques dédiées à ce genre d’opérations éphémères. Grâce à ce réseau, nous sommes en mesure de proposer aux marques les meilleurs emplacements, c’est-à-dire ceux dotés d’un flux commercial important. Ce réseau de lieux dédiés constitue notre facteur de différenciation. C’était clairement ce qui manquait sur le marché.

Notre but est d’accompagner les marques, en identifiant le meilleur emplacement et la meilleure période en fonction de leurs problématiques. Pour susciter de la notoriété, il s’agit plutôt d’opter pour un lieu prestigieux et une période assez courte afin de créer le buzz. En cas de recherche de rentabilité, nous recommandons au contraire d’allonger la durée de l’opération pour amortir les coûts liés au merchandising, par exemple. La mécanique de l’opération et le lieu retenu ne seront pas les mêmes selon les objectifs visés. 

En outre, nous proposons aux marques un scoring des performances de leur pop-up. Nous avons pour cela des outils de mesure de performance dans nos boutiques. Nos analyses permettent aux marques de scruter dans le détail ce qui a fonctionné ou non. C’est clé dans l’accompagnement que nous souhaitons proposer, au-delà du lieu en tant que tel. Nous nous tenons aux côtés des marques pour travailler leur concept, le parcours d’achat, l’activation ou non de dispositifs drive-to-store, la génération de leads en point de vente, etc. Nous nous projetons sur des stratégies de long terme, quitte à construire des opérations incluant plusieurs pop-up stores.

Le pop-up store est-il un moyen d’assurer la survie du format physique face à la vague de digitalisation qui affecte le secteur du retail ?

Jérôme Sussfeld : Je pense que c’est plus un challenge qu’une menace. Le digital est une formidable opportunité pour inciter le physique à se réinventer. Et c’est ce qu’on voit en ce moment. Je ne crois pas du tout au modèle intégralement digital et tout le monde en est revenu, après plusieurs mois de battement en période de crise sanitaire. Le physique a énormément d’avantages. Et on le voit dans la bataille entre Amazon et Walmart, ce dernier pouvant s’appuyer sur la force de son maillage territorial en matière de logistique et de proposition de services additionnels.

La vraie question est de trouver le bon équilibre entre le digital et le physique, en assurant la cohérence des parcours d’achat. Nous avons un grand rôle à jouer dans cette perspective, dans la mesure où nous sommes un plug-in qui permet aux marques d’offrir à leurs clients des briques et des services complémentaires. Le physique doit évoluer, se réinventer et devenir beaucoup plus flexible. Il doit se focaliser sur les raisons qui amènent un client à se déplacer en personne dans un point de vente. Il importe de toujours garder le client au centre de ces réflexions.

Comment abordez-vous l’aspect data chez Nestore ? 

Jérôme Sussfeld : Avec le scoring, notre but est de fournir une sorte de Google Analytics du retail. Nous mesurons les flux extérieurs, le nombre de personnes qui s’arrêtent, celles qui entrent dans le point de vente ainsi que le taux de rebond – c’est-à-dire les clients qui ressortent immédiatement. S’ajoutent ensuite les leviers de conversion, en analysant la façon dont les consommateurs se comportent en boutique. Nous sommes d’ailleurs en mesure de segmenter ces analyses par gamme de produits. Le but est de disposer d’un maximum d’indicateurs quantitatifs pour évaluer la performance directe d’un concept et le faire progresser.

Nous complétons cela d’autres aspects, comme la formalisation d’un Net Promoter Score (NPS) ou l’administration de questionnaires aux vendeurs ou en direct. La boutique devient un agrégateur d’informations que nous faisons ensuite remonter. L’enjeu actuel de la data est de trouver des complémentarités entre le physique et le digital. Le web va apporter une connaissance hyper fine du client, avec des flux massifs d’informations pour le caractériser. En revanche, le physique permet davantage de travailler qualitativement ces données. Lorsque le client est en magasin, il est davantage enclin à partager son ressenti et à formuler des retours. Donc quantité pour le web et qualité pour le physique. Tout l’intérêt est alors de jongler entre ces deux dimensions.

L’essentiel de votre réseau est actuellement parisien. Votre concept de pop-up stores laboratoires a-t-il autant de sens ailleurs, dans des métropoles hors capitale voire dans des villes moyennes ? 

Jérôme Sussfeld : Nous nous sommes d’abord développés à Paris, parce que nous y sommes nous-mêmes basés et que les flux commerciaux y sont importants. Je ne dirais pas que c’est facile, compte tenu des prix élevés du foncier, mais c’était en tout cas naturel. Cela étant dit, assurer une présence dans les principales métropoles françaises – hors Paris – fait clairement partie de nos priorités de développement. Nous avons déjà commencé à œuvrer en ce sens.

J’en profite pour faire un appel. Nous sommes bien sûr ouverts à l’idée de pouvoir nous implanter dans des villes de taille plus réduite, notre but étant de réenchanter le commerce en centre-ville. Nous pensons tout à fait pouvoir faire venir des marques dans des villes petites ou moyennes, à condition de trouver les bons emplacements. Le pop-up store est un instrument idéal de redynamisation des cœurs de bourg. Ce qui est compliqué, c’est que l’on ne peut pas prendre ce risque seul. Nous avons pour cela besoin de le faire en partenariat avec d’autres acteurs, qu’il s’agisse de collectivités locales ou d’opérateurs privés. Nous en serions ravis.

Le secteur du retail a traversé plusieurs crises, en lien avec le Covid puis avec l’inflation. Avez-vous pu constater de grands bouleversements dans les habitudes des consommateurs ? 

Jérôme Sussfeld : Nous pensons que le retail est en profonde réinvention. Le consommateur se pose davantage de questions au moment de son acte d’achat. Par exemple, l’enjeu du développement durable a pris une ampleur significative, après avoir longtemps été considéré comme une préoccupation réservée aux « bobos ». L’essor de la seconde main en témoigne, de même que la relocalisation – relative – des modes de production. Les marques éco-responsables se développent considérablement. L’utilisation du mobile est une autre tendance lourde, avec des consommateurs qui s’informent beaucoup en amont. Cela allonge les parcours d’achat, avec moins d’instantanéité en boutique. C’est une vraie rupture à mes yeux !

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