Damien Knoepfli (VusionGroup) : « Des étiquettes électroniques aux solutions IoT, les commerces physiques se digitalisent »

Si la Covid-19 a accéléré l’explosion du e-commerce, le commerce physique n’est pas en reste et est lui-même l’objet d’une dynamique soutenue de digitalisation. VusionGroup, ex-SES-imagotag, est l’un des acteurs qui participent à ce mouvement, s’étant imposé comme un leader mondial des étiquettes électroniques avant de se diversifier vers un champ serviciel plus large de solutions « IoT » en magasin. Actu Retail a pu interroger Damien Knoepfli, directeur commercial France de cette entreprise. 

Pouvez-vous décrire l’activité de VusionGroup ?

Damien Knoepfli : Historiquement, VusionGroup est un acteur spécialisé dans les étiquettes électroniques, dont la vocation première est d’afficher un prix ou une promotion mis à jour chaque matin. Ces étiquettes bénéficient aussi de fonctionnalités plus avancées, par exemple un flash lumineux pour indiquer quel produit doit être réassorti en rayon ou pour faciliter le « picking » en magasin pour une commande e-commerce en drive.

Nos étiquettes électroniques peuvent également afficher du contenu en couleur. Elles étaient auparavant noires et blanches, puis le rouge est apparu : nous sommes désormais en mesure d’afficher quatre couleurs, ce qui permet de mettre en avant certains prix ou promotions, de surligner certains éléments de texte, etc. Nous utilisons une technologie e-Paper, comparable à celle des liseuses. Les étiquettes n’interrogent les serveurs que toutes les trente secondes, laps de temps pendant lequel elles « s’endorment » et ne consomment pas d’énergie. Ce sont ici de véritables condensés de technologie, puisqu’elles sont connectées au cloud en temps réel et capables d’interagir avec les consommateurs via des QR code ou sans contact (NFC).

Est-il possible de parler d’étiquettes « intelligentes » ? 

Damien Knoepfli : Grâce au cloud, nos étiquettes peuvent afficher une grande quantité d’informations en magasin (prix, promotions, avis clients, etc.) et interagir avec d’autres solutions IoT en rayon (mini-caméras sur étagères, capteurs, etc.). On peut donc dire que, oui, elles sont intelligentes. 

VusionGroup fait bien d’autres choses aujourd’hui que seulement des étiquettes. Par exemple, nous proposons un service SaaS qui permet au retailer de gérer son parc d’étiquettes. Nous commercialisons ainsi d’autres solutions qui permettent de récupérer de la data, de l’information en magasin en vue de l’exploiter voire de la monétiser.

Vous déployez notamment un service de monitoring des rayons. De quoi s’agit-il ?

Damien Knoepfli : En effet, ce service s’appelle Captana. Il s’agit de gérer les ruptures en rayon – qui font partie des irritants les plus importants en magasin – par le biais de mini-caméras. Posées sur les mêmes rails que ceux des étiquettes, elles prennent en photo à intervalles réguliers le rayon situé en face d’elles. Les données photographiées remontent via le cloud, grâce à une intelligence artificielle qui est capable de détourer les différents produits. Des alertes sont envoyées – par mail, SMS, WhatsApp, etc. – aux responsables de rayon pour les informer des ruptures. Grâce aux étiquettes, nous sommes en plus en mesure de connaître les stocks disponibles derrière. Enfin, il est à noter que Captana peut tout à fait fonctionner avec les étiquettes des concurrents ou des étiquettes papier – nous sommes agnostiques à cet égard. 

Un autre de vos services s’appelle Memory…

Damien Knoepfli : Oui tout à fait, tout est lié. Une fois la data récoltée via le cloud, qu’il n’y a plus de rupture en rayon, nous venons connecter cet outil appelé Memory. Il va analyser la data en vue de formuler des recommandations à destination du chef de rayon, du directeur de magasin ou simplement des salariés présents sur site. Il donne des indications sur le planogramme en place, sur la disposition et la présence des produits en rayon et leur impact sur le chiffre d’affaires de l’enseigne. Ces données évidemment intéressent beaucoup les marques. Un distributeur peut ainsi vendre cette data à des marques de l’industrie agroalimentaire et la monétiser. Ces données ont beaucoup de valeur. On peut même faire du retail media : c’est une autre solution qui nous permet d’afficher des vidéos, des publicités sur un rail placé sous les produits concernés. 

Vous avez un prisme fortement axé sur la notion d’innovation. Produisez-vous vous-mêmes vos algorithmes ?

Damien Knoepfli : L’innovation se situe au cœur de l’ADN de VusionGroup, de manière directe ou via le rachat d’entités tierces. Si nous prenons l’exemple de Captana, nous avons plus de vingt développeurs situés à Amiens et qui sont mobilisés uniquement pour cette offre. Nous allouons un budget conséquent chaque année à la R&D. Ce budget est réparti entre différents pays qui forment les centres R&D du groupe : France, Autriche, Allemagne, Irlande, Croatie, Taïwan et États-Unis.

Quels indicateurs utilisez-vous afin de juger de la pertinence de vos outils ? 

Damien Knoepfli : En fonction des outils mobilisés, les indicateurs ne sont pas les mêmes. Pour Captana, nous scrutons l’évolution du taux de rupture avant et après l’installation de nos caméras. À titre d’exemple, nous avons équipé plusieurs Carrefour Market dans l’ouest de la France : à la suite de nos installations, nous avons constaté en moyenne des ruptures en baisse de 30 %. Nous regardons également la satisfaction client via le Net Promoter Score (NPS). Dans le magasin Carrefour de Plouzané, ce NPS a progressé de quatre points après notre intervention. Nous mesurons aussi le taux de conformité des produits commandés en drive, la gestion des rayons, la construction des plannings, etc.

Sur la partie cloud, nous calculons la disponibilité de notre plateforme pour nos clients. Nous garantissons 99,9 % de disponibilité. Pourquoi pas 100 % ? Tout simplement parce que nous dédions une heure par jour aux mises à jour.

Nous nous engageons enfin à être très réactifs en cas de problème technique nécessitant une intervention physique. Nous disposons de vingt techniciens répartis sur toute la France. L’action corrective est menée très rapidement par nos agents. Cet aspect est primordial pour les magasins qui souhaitent afficher des prix corrects et justes à tout moment de la journée.

Comment jugez-vous la maturité des retailers sur ces sujets de transformation digitale des magasins physiques ? 

Damien Knoepfli : Cela dépend vraiment des enseignes. Certaines sont beaucoup plus avancées sur la mise en place du cloud que d’autres, ce qui constitue véritablement la porte d’entrée. Néanmoins, nous sommes sur le bon chemin. Les enseignes sont sensibilisées au digital, notamment au e-commerce. Le retard se situe davantage sur la partie magasin. Certaines ont conscience de la situation et opèrent les changements nécessaires en interne, en plus d’investir massivement sur des équipements digitaux.

Au regard de votre ancrage géographique multiple, notamment en Amérique du Nord, constatez-vous des différences entre le marché français et le reste du monde ? 

Damien Knoepfli : Les problématiques sont les mêmes partout. Aujourd’hui, tous les distributeurs veulent s’affranchir de la contrainte que constitue la pose quotidienne d’une étiquette papier en dessous d’un produit. Cependant, contrairement à la France, l’équipement digital en Amérique du Nord est relativement nouveau. Ils ne disposent pas de l’historique que nous pouvons avoir en France en la matière. La France a été un pays assez précurseur sur la mise en place d’étiquettes électroniques. Cet aspect est positif puisque nous disposons d’un parc bien installé et d’un retour d’expérience très fort. Néanmoins, ce parc nécessite d’être progressivement renouvelé pour intégrer les technologies les plus récentes.

Quels sont vos objectifs pour les prochaines années ? 

Damien Knoepfli : Notre objectif est d’atteindre, d’ici 2027, un chiffre d’affaires de 2,2 milliards d’euros. Pour y parvenir, nous souhaitons accompagner en France les enseignes dans leur adoption du cloud. Ce changement leur permettra de bénéficier de tous les services associés, qu’il s’agisse de Captana, de Memory ou bien du retail media.
Nous souhaitons également développer de nouveaux services, tels que Captana « AI For Fresh ». Cet outil permet de suivre les rayons frais et traditionnels des supermarchés – fruits et légumes, poissonnerie, boulangerie, etc. – et notamment la dégradation des produits. Un signal est envoyé lorsqu’un produit est dégradé, ce qui permet de déclencher des promotions ou la constitution de paniers « anti-gaspi ». Un tel outil plaît beaucoup, puisqu’il limite les pertes. C’est une démarche qui s’inscrit dans une logique résolument écologique.

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