Marie Tors (Graffiti) : « La réalité augmentée, une vraie utilité pour le retail »

Fondée en 2019, la start-up marseillaise Graffiti aspire à fluidifier l’expérience du consommateur en magasin grâce à la réalité augmentée. Véritable révolution dans le retail ? Marie Tors, CEO de Graffiti, répond aux questions d’Actu Retail.

Vous cherchez à dupliquer en magasin l’expérience que peut avoir un consommateur quand il recherche ou navigue sur un site internet. Que cela signifie-t-il et comment mettez-vous cela en œuvre au travers de votre application smartphone ? 

Marie Tors : Quand on navigue sur un site internet, on a accès à toutes les informations que l’on souhaite, que ce soit sur le produit en lui-même, ses fonctionnalités ou sa valeur intrinsèque. Il est également possible de rassembler les avis et les notes des autres clients, pour bénéficier de leurs expériences de consommation. Et on peut filtrer les produits, en renseignant un certain nombre de critères pour ne retenir que ceux susceptibles de correspondre parfaitement à nos attentes. Le magasin donne évidemment accès à d’autres choses – sentir et toucher des produits cosmétiques, par exemple. Je pense aussi aux produits électroniques ou aux articles de sport.

Mais si l’on veut creuser l’information et ne se concentrer que sur une sélection précise de produits, c’est vraiment compliqué. En effet, cela implique de multiplier les allers-retours entre le rayon et Internet depuis son téléphone mobile. Ce que Graffiti propose, c’est de réunir le meilleur des deux mondes pour permettre aux consommateurs se trouvant en magasin d’avoir une expérience extrêmement fluide. Le consommateur va pointer son téléphone vers le rayon, afin de reconnaître le produit et bénéficier d’une information adaptée. Nous nous appuyons, pour ce faire, sur des algorithmes de reconnaissance visuelle. Nous ajoutons par ailleurs une couche de réalité augmentée et d’ergonomie, pour permettre à l’utilisateur d’accéder instantanément à une information contextualisée sur son produit.

Quel est l’intérêt du retailer, de l’enseigne ?

Marie Tors : L’intérêt du retailer est vraiment multiple. Il peut d’abord renouer le contact avec son consommateur, puisque nous analysons les données d’usage en magasin. Il est en mesure de savoir ce que le consommateur regarde. Je précise toutefois que nous ne demandons jamais de données personnelles de type adresse mail. Nous partageons seulement les données d’usage, à savoir ce que le consommateur regarde, ce qui l’intéresse et le temps passé pour un produit spécifique. En d’autres termes, nous dupliquons l’expérience qu’a un e-commerçant avec son consommateur : celui-ci connaît exactement ses métriques et les centres d’intérêt de ses clients. 

Ensuite, on apporte au retailer une possibilité de transparence. Il va pouvoir apporter autant d’informations qu’il le souhaite au consommateur. Beaucoup de consommateurs se rendent au magasin comme on vient dans un showroom. Ils viennent pour regarder les produits avant de finalement les acheter sur Internet. On propose au consommateur une expérience de bout en bout, en accédant sur place à l’ensemble des informations données par le retailer ou par la marque. 

Où en êtes-vous aujourd’hui dans votre déploiement ? Entrez-vous aujourd’hui dans une logique de commercialisation ?

Marie Tors : Nous venons de terminer toute la phase de recherche et développement. Nous l’avons achevée mi-2022 et nous avons candidaté à un appel à projets international initié par Deutsche Telekom… que nous avons remporté ! Cet appel à projets porte sur le sujet précis de la réalité augmentée en magasin. Cette perspective est la nôtre depuis le départ. La réalité augmentée a vraiment un aspect divertissant que l’on retrouve par exemple dans des applications comme Pokémon Go. Nous voulions en plus lui apporter une touche d’utilité. Notre souhait est que la réalité augmentée soit quelque chose d’utile, par le truchement notamment de filtres en magasin. Le consommateur choisit ses filtres et voit apparaître des pastilles vertes sur les produits présents devant lui.

Il y a également les fonctions de pricing dynamique. Quand un client souhaite acquérir un téléphone, il ne connaît pas ce que va lui coûter son achat puisqu’il dépend de nombreux facteurs – abonnement choisi, nombre de lignes actives, etc. Graffiti propose au consommateur de répondre facilement à cinq questions, puis de pointer son téléphone vers les produits exposés en rayon. Il va alors voir son propre prix s’afficher en réalité augmentée. Ce sont ces notions d’utilité et de praticité pour le consommateur qui nous intéressent.

Nous sortons en ce moment de notre bulle de recherche et développement, pour entrer dans une phase de développement commercial. Nous venons par exemple de signer avec une enseigne de bricolage. Ce qui nous intéresse par ailleurs, c’est le rayon vin dans la grande distribution. Je pense que nous avons beaucoup de choses à apporter à ces grands rayons pour lesquels nous manquons généralement de conseils. L’idée est d’apporter du conseil en magasin au travers d’une interface simple d’utilisation, disponible via un QR code affiché en bout de rayon. Cela représente une vraie valeur ajoutée, une vraie utilité.

Votre solution de réalité augmentée est-elle en concurrence avec les vendeurs présents en magasin ?

Marie Tors : J’adore cette question – nous nous la sommes beaucoup posée quand nous avons remporté l’appel à projets de Deutsche Telekom. Nous avons eu l’occasion de présenter notre solution à toute la hiérarchie de cette entreprise, du vice-président au stagiaire en passant par les vendeurs. Nous appréhendions les réactions des vendeurs en magasin, qui pouvaient en effet y voir un moyen de les remplacer par le biais d’une évolution technologique.

Nous avons été extrêmement surpris de l’unanimité des réactions. En réalité, les vendeurs sont confrontés à des consommateurs dont l’expérience est omnicanale. Le client arrive en magasin en ayant déjà consulté l’offre sur Internet et en s’étant concentré sur deux ou trois produits. Cela fait de lui un quasi-expert sur les produits qu’il a étudiés. Le vendeur, quant à lui, doit composer avec cinquante nouveaux produits qui arrivent chaque mois, sur lesquels il est obligé de travailler pour mémoriser en profondeur leurs fonctionnalités. Dans ce contexte, nous devenons un outil de support à la vente. Le développement de Graffiti passera par là. Nous serons un outil d’aide à la vente pour les vendeurs, avant même d’être au service de l’expérience consommateur.


De manière concomitante, certaines verticales se détachent parce qu’elles requièrent une expertise assez importante. Je pense notamment aux produits de type électronique ou cosmétique, pour lesquels les différences sont parfois ténues et qui exigent une formation spécifique des vendeurs. En cosmétologie, les animatrices en magasin sont constamment formées pour connaître les nouveaux actifs, les bienfaits associés, la dangerosité alléguée de certains ingrédients… L’animateur en magasin doit être capable de répondre clairement sur la présence ou non de tel ingrédient et expliquer pourquoi il est utilisé, dans quelle quantité.

C’est l’omnicanalité qui donne la possibilité aux consommateurs d’être eux-mêmes experts. Elle n’a fait que se renforcer depuis la pandémie, qui a fait exploser les commandes en ligne. Avec le retour des consommateurs en magasin, nous avons constaté un déséquilibre dans leur relation avec les vendeurs. C’est là où nous intervenons comme support d’aide à la vente. Notre perspective n’est pas de remplacer les vendeurs en magasin, puisque l’approche humaine restera toujours différente.

Êtes-vous confrontés à des freins techniques dans le déploiement à large échelle de Graffiti, par exemple en matière de réseau ?

Marie Tors :  C’est effectivement le cas. Aujourd’hui, nous travaillons avec des pays comme le Japon et les États-Unis où le réseau n’est pas un sujet. Les gens se connectent assez facilement au WiFi dans les magasins, qui bénéficient d’une très bonne couverture. C’est davantage un sujet en France. Nous en faisons un prérequis : avant de signer un contrat, nous demandons à vérifier le réseau et, le cas échéant, à installer les infrastructures adéquates.

De ce point vue, l’arrivée de la 5G est pour nous du pain béni. Elle procure une expérience d’une grande fluidité. Puisque nous ne travaillons que sur des flux vidéo, au travers de l’instantanéité de la reconnaissance des produits, nous avons besoin d’un très bon réseau. Plus le réseau est optimisé, plus l’expérience est agréable, fluide et sert son objectif. C’est un énorme prérequis.

Et il y a un autre enjeu, celui du téléchargement. C’est un gros sujet pour les retailers. Je pense à Leclerc, Auchan ou Casino avec Casino Max qui ont mis en place des applications riches en innovations. Or, elles ne sont pas beaucoup téléchargées aujourd’hui. Comme il n’est pas évident de susciter un téléchargement, nous avons souhaité faire de Graffiti un levier aussi d’acquisition pour ces applications. Dans les sept heures qui suivent l’utilisation de notre technologie via un QR code en bout de rayon, nous pouvons envoyer une notification pour demander au client si l’expérience vécue en magasin lui a plu. Le cas échéant, il est invité à télécharger l’application notamment pour mémoriser son historique.

Avez-vous l’ambition, à moyen terme, d’explorer d’autres types de support que le smartphone ?

Marie Tors :  Nous explorons en effet d’autres pistes, via un programme d’accélération européen. Nous travaillons ainsi sur des lunettes de réalité augmentée. C’est un sujet extrêmement intéressant dans la mesure où, d’une certaine manière, le smartphone est un objet plutôt encombrant. Des lunettes ou des lentilles de réalité augmentée bien pensées permettraient d’accéder à une forme d’omniscience : « Je regarde, je sais ». Je trouve cela fascinant. Mes cofondateurs et moi avons cette obsession de l’innovation dans la façon d’accéder presque instantanément à une information. C’est notre moteur.

Une hype est née il y a une dizaine d’années au travers des recherches de Google. Elle s’est essoufflée, avant de repartir récemment. Google a sorti de nouvelles lunettes capables de sous-titrer en réalité augmentée des interlocuteurs qui parlent une langue différente. C’est absolument magique. Des applications sont aussi possibles dans le sport. Dans le milieu industriel, je pense à HoloLens de Microsoft qui permet à des experts de guider leurs collaborateurs sans être forcément sur place – par exemple pour ceux travaillant sur des plateformes pétrolières. Les lunettes comme les lentilles sont, à nos yeux, des supports potentiels très intéressants.

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