Alexis Quesney (Woop) : « S’appuyer sur de nouvelles solutions technologiques pour faciliter la livraison du dernier kilomètre »

Les nouvelles attentes des consommateurs bousculent les modèles des distributeurs en matière de livraison, qu’il s’agisse du besoin de visibilité sur l’horaire exact d’arrivée d’un colis ou de l’attention portée à son impact environnemental. Autant de tendances qui invitent les distributeurs à repenser leurs circuits logistiques pour se démarquer et rester compétitifs. Dans ce contexte, Actu Retail a pu rencontrer Alexis Quesney, directeur général de Woop : cette start-up lilloise a développé une plateforme digitale ainsi qu’un écosystème de professionnels destinés à répondre aux défis actuels de la livraison du dernier kilomètre.

Quels sont les éléments qui, tout au long de votre parcours professionnel, vous ont conduit à créer Woop afin d’optimiser livraison du dernier kilomètre ?

Alexis Quesney : Je suis moi-même un ancien du retail, ce qui m’a permis d’être en immersion en magasin et d’observer les mutations auxquelles le secteur doit faire face en matière de livraison. Une première problématique porte sur les coûts et la complexité de la livraison. Certaines études mettent en évidence que le dernier kilomètre représente jusqu’à 30 % de la totalité des coûts de transport d’un produit.

Dans le même temps, la part du chiffre d’affaires « livré » des entreprises de distribution ne fait que croître. De plus en plus de clients commandent en effet depuis leur domicile pour se faire livrer. Cette situation engendre mécaniquement une pression sur les marges des acteurs du retail, puisque les produits sont vendus au même prix en ligne et en magasin.

Traditionnellement, les chaînes logistiques étaient plutôt linéaires. À la suite d’une commande en ligne, le produit était préparé dans un entrepôt couvrant de façon centralisée un territoire donné – parfois plusieurs pays. À Lille comme à Marseille, le client se faisait livrer depuis ce même entrepôt par un prestataire de transport opérant généralement à l’échelle nationale. 

Ce modèle linéaire a été remis en cause par l’avènement de l’omnicanalité. Le client commence désormais son parcours d’achat le samedi en magasin, le poursuit depuis son domicile le dimanche soir sur son iPad et le confirme plus tardivement le mercredi suivant. Mais il souhaite toujours recevoir son produit le jeudi matin. Les retailers traditionnels sont ainsi contraints de recourir à d’autres modèles de préparation et de distribution que le seul entrepôt logistique centralisé.

Une seconde problématique est celle de l’expérience client avec des exigences en matière de livraison qui sont, chaque année, de plus en plus fortes. Il y a encore quelques années, un client acceptait de poser un jour de congé pour se faire livrer un produit commandé en ligne. Aujourd’hui, il en est évidemment hors de question.

La panoplie des services demandés par les clients s’est par ailleurs fortement diversifiée : certains souhaitent se faire livrer très rapidement, lorsque d’autres exigent un mode de transport respectueux de l’environnement, un créneau très précis voire des services connexes – comme la reprise d’un appareil électroménager. Les distributeurs ne peuvent plus s’appuyer sur un unique prestataire de transport pour offrir l’ensemble de ces services au consommateur final. 

En outre, les clients expriment un besoin de visibilité accru sur la livraison de leurs commandes. Auparavant, il existait une nette séparation entre le parcours d’achat et le parcours de livraison. Une fois le paiement effectué, le client obtenait un mail de confirmation mais ne recevait pas ensuite d’informations détaillées quant au transport du produit commandé. Nous avons cherché à travailler sur ces aspects pour aboutir à plus de cohérence entre les parcours de livraison et les parcours d’achat.

Face à ces constats, quelles sont les solutions proposées par Woop ?

Alexis Quesney : Notre approche a été initialement de développer des outils pour les retailers traditionnels, pour leur permettre de se battre à armes égales avec les pure players du digital et autres e-commerçants. Ce choix stratégique est directement lié à mon histoire personnelle et à mon parcours professionnel dans le retail. Je suis convaincu que les acteurs traditionnels ont de beaux jours devant eux, car ils peuvent offrir le meilleur du monde physique et du monde digital. Ils sont donc en mesure de répondre aux enjeux très actuels de l’omnicanalité. 

Nous avons conçu une plateforme digitale sous forme de « SaaS », permettant d’orchestrer la livraison du dernier kilomètre de bout en bout – de l’instant où la livraison est commandée jusqu’à la remise du colis au consommateur final. Dès qu’un acte d’achat est confirmé sur un site marchand, un ordre de transport est créé qu’il faut traiter au travers d’une succession d’étapes : sélectionner le bon transporteur, l’affréter, éditer une étiquette de transport, assurer la traçabilité le long de la chaîne de transport, gérer d’éventuels retours, etc. Nous accompagnons tout au long de cette chaîne de valeur nos clients retailers et nos partenaires transporteurs. 

Notre terrain de jeu est donc celui de la « délivrance ». Celle-ci correspond, sur un plan juridique, à l’obligation qu’a le commerçant de remettre un produit commandé au consommateur final. Cette remise des produits peut prendre plusieurs formes. En ce qui nous concerne, il s’agit dans 90 % des cas d’une livraison – mais nous disposons aussi d’un module de « click & collect » et de « click & drive ». Nous sommes pour le distributeur une tour de contrôle unique, qui lui permet de piloter tous ses flux et tous ses canaux de livraison – à l’exception bien entendu du canal traditionnel. 

Par ailleurs, nous ne sommes pas seulement une plateforme technologique mais nous avons également développé un écosystème de transporteurs partenaires. La plateforme sans cet écosystème ne suffit pas. Pour livrer des clients rapidement, de façon durable, sur rendez-vous, vous ne pouvez pas vous en remettre à un seul transporteur. Woop répond à cet enjeu pour les distributeurs de diversification des partenaires de transport. Nous sommes donc une plateforme à trois faces, orientée à la fois vers les distributeurs, les transporteurs et les consommateurs finaux.

Notre premier facteur de différenciation repose sur l’écosystème bâti autour de la plateforme. Tous les transporteurs ne sont pas d’envergure nationale : la France compte plus de 40 000 sociétés de transport dont un grand nombre sont des structures de petite taille. Nous connectons à notre plateforme l’ensemble de ces acteurs locaux qui sont parfois les champions de la livraison sur leur territoire. L’une de nos missions est justement de sélectionner le meilleur transporteur pour exécuter un ordre de livraison donné.

Combien comptez-vous de transporteurs dans cet écosystème ?

Alexis Quesney : Nous en comptons environ 600 aujourd’hui, incluant certains transporteurs à l’étranger. Notre collaboration avec ces transporteurs n’est pas qu’un travail de « plomberie informatique ». Une facette de notre métier repose sur l’animation de ce réseau. Nous collectons des données tout au long de la chaîne de valeur et sommes en mesure d’accompagner les transporteurs dans l’amélioration de leur performance.

Quelles sont les briques technologiques mobilisées par votre plateforme ?

Alexis Quesney : Nous sommes propriétaires de notre technologie, ce qui est très important sur notre marché. Beaucoup de concurrents sont dépendants d’outils tiers, les rendant par exemple vulnérables à des évolutions tarifaires.

La dimension technologique est un élément très important de notre proposition de valeur, dans la mesure où nous cherchons à digitaliser un monde qui ne l’est pas – ou peu – pour apporter de l’efficacité, de la fiabilité, de la sécurité et une meilleure expérience client. En tant qu’éditeur SaaS, la technologie est notre cœur de métier. Plus de la moitié de nos effectifs relève de notre département produit et technique. 

Il est beaucoup question d’intelligence artificielle dans les médias : je parlerais plutôt, dans notre secteur, de recherche opérationnelle ou de calcul numérique. L’idée est de pouvoir trouver des solutions à des problèmes complexes, comme l’optimisation des tournées de livraison. Nous avons réalisé l’acquisition de la société Mapotempo en octobre 2021, dont c’est l’activité historique. 

Grâce à cette acquisition, nous disposons d’algorithmes d’optimisation des tournées qui répondent à un grand nombre de contraintes. Généralement, nous intégrons quinze à soixante contraintes, qui peuvent porter sur la nature des produits transportés, le type de véhicule utilisé, les horaires de travail des livreurs, etc. Ces contraintes sont très différentes d’un secteur à l’autre.

Nous essayons de prévoir beaucoup d’événements, sachant que des incidents peuvent toujours survenir pendant la tournée – un colis supplémentaire à livrer, une congestion du trafic, etc. C’est dans ces circonstances que l’intelligence artificielle, ou plutôt le « machine learning », nous permet de faire de la prévision événementielle autour d’une interrogation : comment détecter, en amont, un incident de livraison ?

Si un colis devant être livré avant 13h à Lille est flashé à 11h30 dans un entrepôt parisien, il est fort probable qu’il ne soit pas remis dans les temps. En nous basant sur ce type de données, nous identifions des « patterns » qui permettent d’anticiper certains incidents de livraison dans une logique prédictive. Nous travaillons également sur le recalcul des tournées de façon intelligente, en utilisant les données relatives aux 2,5 millions d’ordres de transport collectés chaque mois.

La livraison du dernier kilomètre a un impact environnemental : travaillez-vous à sa décarbonation ?

Alexis Quesney : Il serait déraisonnable de ne pas travailler sur ces sujets. En tant que co-fondateur de Woop, j’en suis convaincu à titre personnel. Dans le premier cas d’usage que nous avions exploré, il y avait déjà en filigrane la question de cet impact environnemental. Il s’agissait de rendre possible pour les distributeurs traditionnels l’expédition des livraisons depuis leurs magasins – et pas uniquement depuis un entrepôt central. La livraison depuis un magasin de proximité permet en effet un gain de temps et une diminution de son impact environnemental.

Apporter des solutions plus respectueuses de l’environnement nous tient à cœur. Ce serait bien sûr du greenwashing d’affirmer que l’on peut livrer de façon complètement vertueuse, sans impact. Le transport ne pourra jamais avoir un impact positif sur l’environnement. Mais nous pouvons faire en sorte de réduire cet impact à son minimum.

Chez Woop, nous intégrons des transporteurs proposant des modes de transport doux – comme la cyclo-logistique. Nous comptons dans notre écosystème plus d’une centaine de transporteurs « verts ». Nos algorithmes d’optimisation des tournées permettent de réduire de 23 % en moyenne les distances parcourues entre les livraisons. Le modèle « ship from store » permet lui-même de livrer de la façon la plus vertueuse possible pour l’environnement, en considérant le magasin comme un entrepôt à part entière sur lequel s’appuyer.

Nous développons également beaucoup d’initiatives en interne afin de sensibiliser nos collaborateurs. Nous avons organisé des fresques du climat, ouvertes aux conjoints. J’ai monté un groupe d’action sur les sujets d’impact environnemental, ayant pour la plupart trait à la vie de bureau. Nous faisons, enfin, en sorte de nous comparer à certains labels – EcoVadis, B Corp – afin d’identifier des leviers d’amélioration.

Quels sont vos objectifs pour les mois à venir ?

Alexis Quesney : Nous avons deux enjeux principaux. Le premier est commun à toutes les entreprises de croissance comme la nôtre, c’est-à-dire un enjeu de chiffre d’affaires. Cette croissance doit cependant être durable, raisonnable et rentable. On a vu trop d’entreprises naissantes privilégier la croissance du chiffre d’affaires au détriment de la rentabilité. Ce n’est pas du tout la logique de Woop, ce qui est également rassurant pour nos clients. Nous sommes là pour durer. 

Nous visons donc une croissance rentable qui s’appuie sur le marché français, sur lequel nous sommes leaders, et sur le marché européen. Nous travaillons actuellement sur l’ouverture d’un bureau en Espagne, qui sera opérationnel d’ici la fin de l’année. Notre objectif est non seulement d’accompagner des clients français ayant des opérations sur les marchés européens, mais également de servir des clients locaux.

Notre second enjeu est lié à la nature de notre activité : il est de continuer à faire évoluer notre produit pour conserver notre compétitivité technologique. Certains enjeux organisationnels passionnants sont également à explorer afin de rester agile et placer l’entreprise dans des conditions de performance optimale.

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