Guérir le cancer de l’enfant, avec Frédéric Lemos et le soutien d’un distributeur

Depuis 2017, la campagne « Guérir le cancer de l’enfant au 21e siècle » vise à lever des fonds à destination de la recherche en oncologie pédiatrique. À son origine se trouvent Frédéric Lemos, président du comité de campagne, et son épouse Magali qui ont perdu leur fils, Noé, d’un gliome infiltrant du tronc cérébral (DIPG). Un premier palier de dix millions d’euros a été rapidement atteint, dès fin 2019, avant que ne s’ouvre une nouvelle phase de collecte pour prolonger les efforts jusqu’ici accomplis. Cette campagne, portée par l’institut Gustave Roussy et incarnée par le visage de Noé, fédère de nombreux soutiens dont celui d’un distributeur, le groupe Casino. Début novembre, le groupe stéphanois a notamment collecté 390 000€ pour recherche en oncologie pédiatrique menée par l’institut. Actu Retail est allé à la rencontre de Frédéric Lemos.

Le visage de votre fils, Noé, a marqué beaucoup de Français depuis le lancement de votre campagne en 2017. Pouvez-vous expliquer les raisons de votre engagement aujourd’hui ?

Frédéric Lemos : La question du pourquoi est simple mais relativement longue à expliquer. Noé est décédé d’un cancer qui, à ce jour, reste totalement incurable. Nous avons souhaité nous engager au travers d’une initiative inédite, tant en termes d’ampleur que de montant levé. Notre but n’était pas juste de fonder une association au nom de notre enfant pour continuer à le faire vivre. Ce sont plutôt des considérations scientifiques qui nous ont animés.

Si Noé a été le plus long survivant de sa maladie (trois ans au lieu de quelques mois), c’est parce que nous lui avons donné accès à un niveau de recherche sans précédent au monde. Pendant ces trois années, il a presque toujours été en forme et asymptomatique. Nous avons constaté que certains traitements avaient des effets positifs et immédiats, d’autres moins. Noé a bénéficié d’un parcours de soins qui n’avait jamais été mis en œuvre pour qui que ce soit, avec trente-six IRM en trois ans, des immunothérapies développées spécialement pour lui et deux biopsies du cerveau de son vivant.

Noé a été un puits de connaissance et d’apprentissage pour la médecine et la recherche. Il a permis de découvrir un certain nombre d’enseignements, notamment sur la propagation des cancers dans le cerveau des enfants. Et notre engagement est dû à cela. Si, après sa mort, nous avions décidé d’arrêter ce que nous avons entrepris dès son diagnostic, tout ce cheminement aurait été perdu. Je me suis donc de nouveau tourné vers l’institut Gustave Roussy, en demandant qu’un programme de recherche voie le jour et permette d’envisager de sauver tous les enfants concernés d’ici dix ou quinze ans.

Notre engagement vient de là. Sans cela, tout ce que Noé a apporté à la recherche serait parti dans les limbes. Noé a connu un parcours singulier et a offert des connaissances à la médecine qu’aucun autre enfant n’avait pu procurer. Il fallait qu’on transforme l’essai, on ne pouvait pas en rester là.

En deux ans et demi seulement, une première collecte de quatorze millions d’euros a été accomplie. Vous vous situez désormais dans une nouvelle phase : quels sont vos objectifs ?

Frédéric Lemos : Nous avons une démarche qui est ajustée à une réalité et pas seulement à une ambition. Nous envisageons aujourd’hui un objectif de vingt millions d’euros en cinq ans, au lieu de dix millions d’euros en quatre ans. Et cela parce que Gustave Roussy a réussi, à nos côtés, à vite mettre l’argent au travail. Lever des dons, c’est bien, remplir les promesses notamment d’embauche et de mise en œuvre du programme, c’est toute autre chose. L’ayant fait, Gustave Roussy a employé nos moyens et s’est créé de nouveaux besoins.

La deuxième phase correspond donc, d’une part, au financement d’un essai complémentaire sur les tumeurs cérébrales. Et, d’autre part, à la construction de l’immeuble qui sera le centre de recherche en cancérologie pour les enfants à Gustave Roussy.

Quels sont justement vos axes de mise œuvre des dons jusqu’ici récoltés ? À quoi se destinent-ils ?

Frédéric Lemos : Il y en a quatre. Le premier pan porte sur le développement d’immunothérapies efficaces chez l’enfant. Le second concerne les recherches génétiques, afin de savoir pourquoi un enfant a un cancer : cela vient-il de son patrimoine génétique, de ses antécédents familiaux ? Aujourd’hui, on ne sait pas dire si un enfant a un cancer parce qu’il a bu, fumé, ou je ne sais quoi d’autre.

La troisième partie couvre la consultation médicale à long terme. Sur les 80 % des enfants qui ne meurent pas pendant la période d’observation (cinq ans), les trois quarts vont mourir plus tard d’un autre cancer ou vont avoir des séquelles importantes et irréversibles. L’enjeu est donc non seulement de guérir plus, mais aussi de guérir mieux. Le quatrième axe, à hauteur de 4,7 millions d’euros, a trait spécifiquement aux tumeurs cérébrales. Et cinq millions d’euros de fonds propres se destinent à la construction de l’immeuble.

Ce qui est vrai pour le cancer chez l’adulte ne s’applique pas forcément chez l’enfant. Quelles sont les spécificités de l’oncologie pédiatrique ?

Frédéric Lemos : Ce ne sont pas les mêmes mécanismes. L’un des oncologues qui s’est occupé de Noé dit la chose suivante : « le cancer d’un petit n’est pas un petit cancer ». C’est un cancer qui a des mécanismes de fonctionnement et de propagation différents. Ceux-ci impliquent une recherche et des traitements spécifiques. Nous avons pu traiter une partie non négligeable des cancers de l’enfant en prescrivant les mêmes médicaments que pour les adultes, avec des doses évidemment inférieures, mais cela donne lieu à des séquelles importantes. Le corps d’un enfant n’est pas prêt à recevoir d’importantes doses de chimio. Et des cancers existent chez l’enfant, mais pas chez l’adulte. C’est le cas de certains cancers du cerveau.

Votre campagne engrange de nombreux soutiens, notamment celui du groupe Casino. Pourquoi être soutenu par un distributeur ? Que cela vous apporte-t-il ?

Frédéric Lemos : Il y a deux raisons. La première est qu’il s’agit d’une grande société. Ce qui signifie qu’elle a une force de frappe, en termes de mécénat et de donation, qui n’est évidemment pas celle d’un individuel. C’est un premier aspect. Mais au-delà de cela, le grand avantage du partenariat avec le groupe Casino est qu’il nous offre, en plus des sommes d’argent, une extraordinaire visibilité auprès de sa clientèle – elle-même représentative de la population française.

Quand une grande entreprise nous fait un don important, nous sommes éminemment contents. Mais quand c’est effectué de la façon dont l’a fait le groupe Casino, c’est-à-dire en déployant un arsenal de mesures pour que la campagne soit vue et en appelant au don ses clients, cela a un impact totalement démultiplié. Cela passe par l’arrondi en caisse, des appels en magasin, des annonces, des visuels sur les terminaux de paiement, etc. Le partenariat avec le groupe Casino a permis de collecter plus de 400 000 euros, c’est énorme.

Quelles sont les réussites, les victoires que vous avez pu remporter avec les sommes déjà récoltées ? Avez-vous le sentiment que votre combat avance ?

Frédéric Lemos : Dans le processus de campagne, il y a trois étapes. La levée de fonds, la mise en œuvre du programme de recherche et les découvertes. Pour qu’un programme de recherche fonctionne, il faut lancer des appels d’offres et des recrutements partout dans le monde, acheter le matériel, mettre des locaux à disposition, etc. C’est une étape à peu près aussi difficile que lever de l’argent.

Nos deux premières grandes victoires ont donc été cette levée de fonds incroyable et la mise en œuvre du programme de recherche. Nous avons récemment effectué une visite avec le Président Nicolas Sarkozy, parrain de l’opération, et l’ensemble du comité de campagne à Gustave Roussy, afin de découvrir le laboratoire qui a ouvert grâce à cet argent. Une douzaine de chercheurs, dont cinq venant de Singapour, ont notamment mis au point un système unique au monde de recréation d’organoïdes à partir de gouttelettes de sang et de biopsies. C’est là, à Gustave Roussy, et c’est une première mondiale.

Le lit propice à ce que la recherche débouche est en place. Maintenant, la dernière étape est d’aller chercher les résultats. Pour moi, c’est l’étape la plus importante au-delà même d’avoir réalisé la plus grande levée de fonds qui n’a jamais été faite en France pour l’enfant. Ce que je souhaite, c’est qu’un Noé puisse dans quelques années survivre à la maladie. Ce n’est pas encore le cas, mais le processus vertueux pour qu’on y parvienne est en route. Les deux premières étapes, elles aussi difficiles, ont été franchies à une vitesse et avec des moyens inespérés. Ça, c’est une victoire.

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