Jérémie Lévy (Converteo) : « L’expérience du consommateur, objectif premier de l’omnicanal »

L’avenir du retail sera omnicanal. Parce que les décisions d’achat se prennent de plus en plus rapidement, les acteurs du secteur doivent plus que jamais se saisir des aspérités d’un consommateur dont l’œil est tantôt rivé sur son smartphone, tantôt sur le produit en rayon. Pour évoquer ces enjeux de vitesse et d’omnicanalité, Actu Retail a interrogé Jérémie Lévy, Partner chez Converteo, un cabinet de conseil spécialisé dans la data et le digital.

Comment le développement de l’omnicanal a-t-il fait évoluer les prises de décision des consommateurs ?

Jérémie Lévy : Depuis la crise sanitaire, la tendance générale est à la prise de décision « last minute ». C’est autant le cas pour les spectacles et les voyages que pour le retail. Des livraisons de courses de dépannage sont bien effectuées en moins de dix minutes désormais ! Même si la vocation première de l’omnicanal n’est pas la vitesse, la multiplication des points de contact – du click & collect au drive piéton en passant par les dark stores – a eu pour effet de favoriser la rapidité de la disponibilité des stocks pour les clients qui passent commande.


L’objectif premier de l’omnicanalité porte sur l’expérience du consommateur. Il s’agit avant tout d’offrir au client la possibilité de choisir ses canaux d’interaction tout au long du parcours d’achat. Pour un distributeur, cela implique de mutualiser les forces de chaque canal afin de se différencier et de proposer une expérience « best in class ». Fluidifier le parcours, préparer son achat en ligne, avoir recours à un simulateur depuis chez soi avant de commander – par exemple – une nouvelle cuisine en magasin : c’est, pour le consommateur, gagner en souplesse et, pour le retailer, l’assurance de ne pas perdre de leads en suivant le client et en le relançant au bon moment. Il y a donc un sujet non seulement de rapidité, mais également – et surtout ! – d’expérience client.

Cette accélération de la prise de décision dans l’acte d’achat n’est pas nouvelle. L’effet « RoPo » (Research Online, Purchase Offline) existe depuis longtemps, de même que la recherche sur mobile et les requêtes « à proximité ». Nous assistons simplement à l’amplification d’une tendance déjà à l’œuvre auparavant.

Quelles stratégies peuvent-être déployées par les retailers, dans le but de relier les parcours et répondre à cette double exigence de rapidité et d’expérience client ?

Jérémie Lévy : Une bonne stratégie omnicanale suppose une fine compréhension des comportement clients. Une analyse de l’existant doit permettre de répondre à plusieurs questions clés, notamment sur la récurrence des achats d’un client omnicanal, son panier moyen ou encore les valeurs à partir desquelles il guide ses choix. Il est établi qu’un client omnicanal consomme en moyenne entre 20 et 30 % de plus qu’un autre monocanal. Mais il importe de vérifier, au préalable, si cet impact de l’omnicanalité s’applique différemment d’un segment client à un autre, d’une catégorie de produits à une autre. Bien comprendre ces dynamiques est primordial pour ajuster sa stratégie en conséquence.

La dimension locale est importante. Les comportements varient sensiblement d’une zone géographique à une autre, avec des enjeux marketing différents. Il convient bien sûr d’adapter sa stratégie en fonction du territoire concerné. Le magasin aura à chaque fois une vocation différente : parfois showroom, dédié à l’expérience, parfois relais, avec des entrepôts partagés. Cette connaissance du contexte local est elle aussi indispensable.

Rappelons que, pour la grande majorité des retailers, 80 % du chiffre d’affaires est encore assuré par des magasins physiques. Le online incarne alors moins un objectif exclusif de chiffre d’affaires qu’un levier fort de « drive-to-store ». La stratégie à élaborer doit tenir compte de la complémentarité des canaux. De nombreux dispositifs permettent aujourd’hui d’allier physique et digital. La e-réservation, la prise de rendez-vous et le live shopping en sont autant d’exemples. La clé étant de trouver la recette qui combine le meilleur du physique et le meilleur du digital.

Le digital est parfois présenté en opposition au magasin traditionnel. Cette approche omnicanale trace-t-elle une voie de réconciliation entre l’un et l’autre ?

Jérémie Lévy : Le digital peut être accusé de venir cannibaliser le commerce traditionnel. Selon moi, ces reproches émanent surtout d’acteurs qui ont du mal à piloter leur chiffre d’affaires omnicanal. C’est-à-dire des retailers qui utilisent des KPIs de contribution par levier, de sorte que chaque canal est concurrent des autres. Cela aboutit à ce sentiment de cannibalisation. Pour cette raison, il est important à mes yeux de pouvoir évaluer la performance réalisée grâce à la logique omnicanale et d’industrialiser cette mesure. L’enjeu est celui de la désilotisation des canaux. Cela passe par des comités de pilotage transversaux rassemblant toutes les directions, du e-commerce aux responsables de magasins.

Une autre façon de voir les choses est de considérer que le digital vient, en réalité, accélérer les ventes en magasin. Il a un rôle de génération de trafic en point de vente et agit comme un moteur de la visibilité locale. Remplacer des tracts papiers par des campagnes digitales hyper localisées peut amener du trafic et se concrétiser par des passages supplémentaires en caisse. Ce qui est intéressant, c’est de s’apercevoir à quel point le online a aussi un rôle à jouer sur des échelles de proximité.

Enfin, les applications et les sites constituent, en tant que tels, des assets au service de l’expérience en magasin. Ces outils digitaux deviennent les compagnons des clients, à l’instar de l’App Carrefour qui permet de scanner un produit en supermarché pour afficher son Nutri-score. De même, le site Castorama indique l’allée où chercher un produit en magasin. Ces supports online sont pensés non pas dans une optique de vente directe, mais d’amélioration de l’expérience physique.

Comment les retailers doivent intégrer l’enjeu de la data dans leur stratégie omnicanale ?

Jérémie Lévy : Ce qui compte, c’est de mesurer les performances puis de partager les indicateurs au sein des organisations. C’est une suite logique et ce temps de restitution des données ne doit pas être négligé, au travers par exemple de tableaux de bord appropriés. Le but est à chaque fois d’aligner les responsables de magasins et les directeurs e-commerce sur des chiffres partagés. Cela peut être des analyses de cohortes clients adaptées à des parcours omnicanaux, ou bien la mesure de l’impact du digital sur les ventes en magasin.

L’intérêt est ensuite de pouvoir zoomer par catégorie de produits, puisque certains d’entre eux – comme une machine à laver – auront un plus fort effet « drive-to-store » que d’autres. Et une fois que l’on dispose de tels indicateurs, on est plus à même de prendre de bonnes décisions en matière de visibilité, de communication et de modèle de distribution. Les données doivent absolument être partagées au plus grand nombre.

Quelles sont, pour vous, les tendances retail incontournables du moment ?

Jérémie Lévy : Nous entrons dans un monde « privacy first ». Cela s’observe avec la disparition des cookies tiers et les contraintes opposées à l’acquisition de données. Se fait donc ressentir le besoin de s’orienter de plus en plus vers des modèles statistiques et économétriques, comme le marketing mix modeling. C’est une pratique qui va se développer, assurément, tout en permettant de mesurer les investissements marketing et média sur les différents canaux.

Un autre sujet est l’humanisation du digital. Je citais le live shopping, encore balbutiant en Europe en comparaison avec ce qui est déjà l’œuvre en Asie. Il n’empêche que les expériences se multiplient et qu’elles révèlent une tendance forte à suivre. Et nous nous dirigeons toujours plus vers de l’ultra local, avec de la TV segmentée et des campagnes qui ne cessent de se personnaliser.

Au-delà de l’omnicanalité, la reconfiguration des points de vente agite les réflexions. Je pense à l’optimisation des espaces pour accueillir plus de stockage et limiter les zones de vente. La question se pose aussi s’agissant de la redistribution des réseaux commerciaux, pour renforcer le maillage du territoire et diminuer les temps de livraison. Cette recomposition des modèles retail va s’accentuer dans les prochains mois et les prochaines années.

Enfin, j’aurais tendance à souligner le phénomène du retail média. La monétisation des espaces online des retailers se développe énormément. C’est aussi l’occasion de procéder à des partages de données et d’insights entre les distributeurs et les marques. Tout l’intérêt étant de comprendre qui achète quoi, pour optimiser l’offre et mieux orienter les investissements en communication. Ce sont pour moi les axes de transformation les plus marquants en ce qui concerne le secteur du retail.

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