Marie-Laure Basset (Api) : « Une supérette qui rend heureux les habitants des communes rurales »

Tandis que la désertification des zones rurales pose question en France, la redynamisation des services de proximité devient un enjeu d’innovation pour le retail. C’est toute la promesse d’Api, une start-up qui développe des supérettes autonomes pour réinvestir le champ des communes rurales. Marie-Laure Basset, CEO d’Api, en présente le modèle pour Actu Retail. 

Qu’est-ce qu’une super supérette Api ? D’où vient votre idée et votre concept ?

Marie-Laure Basset : Une super supérette Api, c’est une supérette qui rend heureux les habitants des communes rurales. Notre mission principale est de redynamiser le monde rural. Pour cela, nous souhaitons apporter des services de proximité dans les zones qui en sont aujourd’hui dépourvues. Ces zones sont de plus en plus nombreuses en France. On compte environ 12 000 communes qui n’ont plus aucun service de proximité.

En ce qui nous concerne, nous aspirons avant  tout à nous installer dans les communes dans lesquelles il n’y a pas d’épicerie. Ces communes ont généralement eu une épicerie par le passé, qui a fermé depuis. Il s’agissait souvent d’épiceries tenues par un couple, avec des prix entre 20 et 30 % plus chers qu’en supermarché. Ceci n’est pas tenable, d’autant plus dans un contexte inflationniste. C’est pour cette raison qu’un grand nombre d’entre elles ont dû fermer en zone rurale. D’autres services de proximité sont bien sûr aussi concernés, comme les banques ou les bureaux de poste, contribuant à un phénomène de désertification du monde rural. Notre mission première est de lutter contre cela.

Julien Nau et Alex Grammatico ont eu l’idée de fonder Api après avoir regardé un reportage sur la société suédoise Lifvs, qui développe des épiceries autonomes à partir de containers. La Suède est un pays très étendu, avec une vraie difficulté pour aller faire ses courses. C’est ce reportage qui a fait naître l’envie d’aller apporter, en France, des solutions similaires aux personnes isolées en zone rurale. Un troisième associé s’est joint à l’aventure, Jean-Luc Treillou, puis moi-même en tant que CEO. J’ai été séduite par le projet et sa dimension humaine. Ce projet a énormément de sens et surtout peut être mis à l’échelle.

Notre objectif est d’installer 600 supérettes en France, pour couvrir une partie de ces 12 000 communes. Nous visons en particulier celles de plus de 750 habitants et situées à 20 minutes aller-retour d’un supermarché. La promesse et l’innovation d’Api est de s’implanter là où aucun acteur n’a envie d’aller. Il y a un décalage avec le milieu urbain, où l’on constate de nombreuses innovations en matière de retail – notamment sur la livraison du dernier kilomètre qui embarque énormément de technologie. En zone rurale, il y a beaucoup moins d’innovations dans le retail. Pourquoi ? Parce qu’il y a peu de data et que c’est forcément plus risqué.

Nous sommes archi-convaincus qu’un modèle économique est possible, et le but d’Api est de l’inventer. La demande est vraiment là. Dans les premières communes d’implantation, la venue d’une supérette Api a bénéficié d’un vrai soutien des mairies et des habitants. C’est une façon de redynamiser le village, de recréer un lieu de vie et d’apporter un service fondamental qui est de pouvoir faire ses courses sans prendre son véhicule. Et sans pour autant payer plus cher qu’en supermarché. Notre première supérette Api a ouvert le 15 novembre dernier, du côté de Claix en Charente.

Pouvez-vous décrire les innovations technologiques dont les supérettes Api s’accompagnent ?

Marie-Laure Basset : Notre concept est celui d’une supérette en libre-service, ouverte 24h/24 et 7j/7. C’est une vraie force. Nous nous appuyons sur des gestionnaires de magasins qui sont là pour approvisionner les supérettes et assurer leur bon fonctionnement. Un gestionnaire s’occupe de cinq magasins. Nous nous développons ainsi en grappe, d’où la nécessité d’identifier cinq communes pas trop éloignées les unes des autres. La supérette peut « vivre » toute seule, permettant au consommateur d’être libre et autonome.

Cela implique d’apporter un peu de technologie, tout en restant low tech en cohérence avec notre cible. Cette cible est variée, puisque la supérette va autant répondre aux besoins des jeunes, des couples, des familles que des retraités. À l’heure où l’on parle de fracture numérique, nous pensons avoir un rôle à jouer dans cet accompagnement des personnes éloignées des nouvelles technologies. Notre ambition, depuis le départ, est de rendre le parcours client le plus simple possible.

Par exemple, pour rentrer dans la supérette, il faut scanner un QR code. Il faut pour cela créer un compte, en trois étapes simplement :  je renseigne mon nom, mon prénom, mon portable. Une fois le compte créé, le client reçoit son QR code. Du fait du Covid, 90 % de la population est désormais à l’aise avec l’utilisation d’un QR code sur son téléphone. Pour les 10 % restants, nous imprimons une carte – sur le modèle d’une carte de fidélité – et nous y imprimons leur QR code. C’est aussi pratique pour les couples qui partagent un téléphone pour deux. Cela permet de venir à la supérette sans forcément avoir besoin d’un téléphone.

Une fois le QR code scanné, le consommateur peut ouvrir la supérette. Ensuite, il fait ses courses comme dans un supermarché classique. L’intérieur est assez grand, environ 40 m2, et les clients sont souvent surpris du choix qui est à leur disposition. Nous avons notamment un grand rayon frais, très apprécié. Au moment de passer à la caisse, le QR code doit de nouveau être scanné ainsi que les articles sélectionnés. Le paiement s’effectue alors par carte bleue.

Dans une optique d’accompagnement et de lutte contre la fracture numérique, nous avons enlevé tous les éléments qui peuvent rendre complexe l’utilisation d’une caisse automatique. Nous avons identifié trois éléments irritants. Le premier est le poids variable. Nos supérettes n’en ont pas, pour éviter ce moment où la balance bloque la caisse automatique. Ensuite nous n’autorisons pas le paiement en liquide, pour nous concentrer sur la carte bleue. Enfin, nous n’imprimons pas ticket de caisse papier : le client le reçoit sur son application ou sur son compte via le site internet. 

Comment parvenez-vous à concilier proximité et « défense du portefeuille » de vos consommateurs ? 

Marie-Laure Basset :  C’est toute l’innovation de notre modèle. Celui-ci nous permet de proposer 70 % de notre offre à prix supermarché. Les clients nous font part de leur surprise à cet égard. Comment y parvient-on ? Avoir un gestionnaire pour cinq magasins contribue à l’amortissement des coûts. Et puis nous avons noué un partenariat avec un acteur de la grande distribution, Carrefour, dans une logique d’optimisation de l’offre et de la logistique.

Chaque supérette dispose d’environ 700 références, qui couvrent toutes les unités de besoins essentiels. Vous y retrouvez de l’épicerie, du salé, du sucré, du frais, du surgelé, des produits d’hygiène, des aliments pour animaux, un peu de papeterie, des piles, des ampoules, etc. Notre offre évolue dans le temps, en fonction des remarques formulées par les consommateurs. Ils ont à leur disposition un cahier et un crayon dans chaque supérette et cela fonctionne énormément.

Tous les jours, au moins deux pages sont écrites – des compliments, des remerciements et surtout des remontées de besoins éventuellement non couverts. Nous avons ainsi été amenés à rajouter des couches pour bébé ou à élargir notre offre en fruits et légumes. En revanche, nous ne proposons pas d’alcool. L’enjeu est de mixer innovation technologique et proximité.

Ce format autonome occasionne-t-il des vols, des dégradations ?

Marie-Laure Basset :  L’enjeu sécuritaire est bien sûr important, d’où la présence de caméras de vidéosurveillance ou le fait de devoir scanner un QR code à l’entrée et à la caisse. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais nous sommes agréablement surpris par la bienveillance des clients. Nous avons un visiophone à l’intérieur de chaque supérette, qui permet aux clients de nous alerter des dysfonctionnements.

Il est arrivé que la porte de l’une de nos supérettes ne se fermait pas complètement. Les clients nous ont tout de suite fait remonter l’information, en proposant de rester à l’intérieur jusqu’à l’arrivée du technicien. Les consommateurs se rendent compte que c’est leur supérette et qu’ils ont intérêt à faire en sorte qu’elle marche bien. Et donc ils en prennent soin.

Avez-vous des démarches de valorisation des producteurs du territoire concerné ?

Marie-Laure Basset : En parallèle de l’offre liée à notre partenariat avec Carrefour, nous référençons nous-mêmes des producteurs locaux. Nous allons à leur rencontre, en prenant un rayon de cinquante kilomètres autour de la supérette. Nous avons ainsi noué un partenariat avec la Maison Lafaye, une boucherie-charcuterie près d’Angoulême qui nous prépare un assortiment de viandes locales très appréciées de nos clients. Il en va de même avec Philippe Guédon, producteur de pâtes bio. 

Nous organisons également des animations. C’est le cas il y a peu avec un producteur de fraises locales, installé près de Fouquebrune. Même si l’on ne vend pas d’alcool, il nous arrive le week-end de proposer une animation autour d’un producteur de vin local. La vente d’huîtres fonctionne aussi très bien. Nous avons même prévu une pergola dédiée à ces animations à côté de nos supérettes, dans l’idée toujours d’animer la vie de village. Lors du mardi gras, des maquilleuses étaient présentes pour les enfants !

Comment vos relations se passent-elles avec les maires, les collectivités locales ? 

Marie-Laure Basset :  Le premier contact se fait auprès de la mairie. Le conseil municipal doit valider l’implantation de la supérette à la majorité. Nous avons besoin d’une vraie volonté de la mairie et du soutien de la commune. Nous faisons ensuite une demande de permis de construire et sollicitons la mairie pour disposer d’un terrain. Notre demande est assez simple, puisque nous nécessitons simplement d’un terrain de 100 m2 et d’un raccordement électrique. Notre supérette, qui est en fait un grand mobil-home, n’a pas besoin d’eau. Notre souhait est d’avoir une empreinte minimale sur notre environnement. En cas de départ, nous n’aurons pas dégradé les sols ni coulé une chape de béton.

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