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Lucas Thivolet Conde Salazar (Plateau Fertile Paris) : « Développer une mode circulaire et durable, c’est possible »

Repenser notre rapport au textile et à sa consommation est devenu une priorité, sous la double contrainte des conditions de fabrication de nos vêtements et de leur empreinte environnementale. Le renouveau d’une mode tournée vers les circuits courts et la qualité des matières peut émerger de rencontres entre entreprises traditionnelles et start-up. Et c’est notamment au sein de tiers-lieux comme les « Plateaux Fertiles » du Fashion Green Hub que de telles rencontres adviennent. Actu Retail a pu échanger avec Lucas Thivolet Conde Salazar, pilote du Fashion Green Hub Grand Paris et du Plateau Fertile Paris.

D’où vient votre engagement en faveur d’une mode durable et circulaire ?

Lucas Thivolet Conde Salazar : Ma carrière m’a progressivement conduit à m’intéresser à la filière mode et textile. Il y a dix ans, je travaillais sur les questions de diplomatie culturelle, au sein du réseau des Alliances françaises. Cette expérience m’a permis de voyager et de découvrir d’autres cultures, ce qui m’a amené à m’intéresser aux beaux-arts puis à la mode. 

L’année 2020 et la crise de la Covid ont été pour moi l’occasion de travailler sur un projet entrepreneurial dans le monde de la culture. C’est dans ce contexte que j’ai commencé à m’intéresser à la fibre de chanvre et à sa valorisation. J’ai appris que cette fibre naturelle avait été délaissée puis oubliée à partir du XIXème et du XXème siècles en Occident, alors qu’elle a de tout temps accompagné l’histoire de l’humanité. Les fibres artificielles et synthétiques lui ont depuis été privilégiées.

Ainsi, le biomimétisme utile à la préservation de nos écosystèmes et de notre planète a été mis de côté dans un contexte de mondialisation. C’est un constat pertinent au sein non seulement de la filière textile et mode, mais également de notre système économique dans son ensemble. La « fast fashion » a certes permis de démocratiser l’accès au vêtement, mais les effets négatifs de ce modèle excèdent désormais ses bénéfices. 

Chez Fashion Green Hub, nous sommes optimistes et considérons que la filière s’est pleinement saisie de ces enjeux. Cela fait plus de vingt ans qu’un écosystème autour de la mode durable et circulaire a commencé à émerger. Si « l’ultra fast fashion » prend une place de plus en plus importante sur le marché, le rééquilibrer reste possible à condition d’offrir un maximum de solutions au consommateur. Au quotidien, nous devons remettre de l’humain dans nos sociétés et nos économies. C’est à ce titre que l’économie sociale et solidaire est une fantastique porte de sortie pour notre système mondialisé, car elle induit une meilleure redistribution de la valeur. 

Cette approche circulaire conduit à replacer des métiers délaissés au cœur de la création textile. Il y a toute une industrie ouvrière de la filière textile qui doit être revalorisée. Cet aspect très humain et sociétal m’a beaucoup plu et convaincu de m’engager personnellement par le biais du Fashion Green Hub.

En quoi consiste l’association Fashion Green Hub ?

Lucas Thivolet Conde Salazar : Fashion Green Hub est une association à but non lucratif qui regroupe plus de 500 entreprises, dans l’optique de travailler de façon collective. L’idée initiale, née en 2015 à Roubaix, était de fédérer une filière alors très segmentée, qu’il s’agisse de TPE / PME, d’indépendants ou de grandes entreprises au même titre que les collectivités locales et l’État. C’est l’association de cette multitude d’acteurs privés comme publics qui nous permet, au quotidien, d’œuvrer collectivement à la transition de la filière vers des modèles circulaires, durables et inclusifs. 

Depuis, nous avons conçu et sommes devenus gestionnaires de tiers-lieux que nous avons nommés « Plateaux Fertiles ». Le regroupement dans de tels espaces d’entreprises de tailles très différentes, afin de repenser le fonctionnement de la mode, a pu surprendre au départ. Mais les jeunes entreprises ont su apporter un souffle nouveau, tout en accédant à des sociétés disposant de la profondeur financière nécessaire pour activer et développer leurs projets.

Vous avez récemment ouvert un Plateau Fertile à Paris. Pourriez-vous décrire ce tiers-lieu ? Comment a-t-il été pensé et déployé ?

Lucas Thivolet Conde Salazar : En 2018, face à l’augmentation du nombre d’entreprises adhérentes au Fashion Green Hub, nous avons pris conscience de la nécessité d’avoir une présence physique, un lieu de rendez-vous pour l’ensemble de la filière. Nous avons créé, dans cette perspective, un premier Plateau Fertile à Roubaix. Celui-ci a été labellisé « Manufacture de proximité » par l’État en 2021.

Nous avons cherché à faire essaimer notre modèle associatif partout en France, pour accompagner la transition de la filière et proposer aux opérateurs publics un réseau d’experts susceptibles d’accompagner ces dynamiques au sein de leurs territoires. Des représentants de la Ville de Paris sont venus à notre rencontre à Roubaix en 2021 pour nous faire part d’un projet de manufacture intra-muros, au sein d’un bâtiment déjà identifié. Il nous a alors été proposé de porter le projet.

C’est pour cette raison que nous avons choisi de développer notre activité en région parisienne. Nous partageons ce projet de manufacture de mode circulaire et solidaire avec six voisins, tels que des chantiers d’insertion travaillant pour le secteur du luxe. Ces partenaires sont très pertinents pour nous, sont membres de l’association Fashion Green Hub et proposent eux-mêmes des solutions aux entreprises que nous accompagnons. 

Le Plateau Fertile Paris est un tiers-lieu à destination des professionnels et un lieu de rendez-vous : nous mettons à la disposition des entreprises des outils de co-working en location, des « FabLab » avec de la machinerie textile et bientôt un atelier autour du cuir. Accompagner les artisans et l’émergence d’une nouvelle industrie du cuir en Île-de-France est d’ailleurs l’un de nos objectifs. Nous disposons de bureaux d’études pour accompagner les entreprises, ainsi qu’un studio photo et des salles de réunion privatisables. 

Cet environnement permet un échange quotidien de compétences entre entreprises, que ce soit dans l’écoconception des produits ou la construction de filières de tri et de recyclage des matières usées. Seuls 30 % des vêtements déposés dans les points relais sont récupérés et recyclés en France : réintégrer de la circularité dans nos modèles est un enjeu de premier ordre. Nos paradigmes doivent changer et c’est au sein de lieux comme nos Plateaux Fertiles, où 530 entreprises interagissent, que ce changement peut intervenir.

Nous sommes prêts à essaimer partout en France. Mais, pour y parvenir, l’engagement des entreprises est très important. Le succès de nos initiatives repose en grande partie sur le dynamisme des entreprises partenaires. Par ailleurs, le soutien des pouvoirs publics est crucial, en particulier en phase de lancement. Cela a été le cas lors de notre déploiement à Paris, avec une mobilisation très rapide de la région Île-de-France et de la Ville.

Avez-vous le sentiment que ces nouveaux modes de consommation sont largement adoptés par les Françaises et les Français ? Certains freins perdurent-ils ?

Lucas Thivolet Conde Salazar : Le consommateur a beaucoup été stigmatisé ces dernières années, dans l’espoir de l’inciter à consommer moins et mieux. On sait pourtant que c’est tout un modèle de commercialisation de la filière textile qui a mis, ces cinquante dernières années, le consommateur en demeure d’acheter toujours plus de pièces et d’embrasser le modèle d’une mode jetable. En particulier, les consommateurs au pouvoir d’achat réduit se sont naturellement tournés vers ces produits. Quand bien même il a été démontré que l’on dépense plus avec la « fast fashion » qu’en faisant l’acquisition de produits de meilleure qualité.

Le consommateur doit encore être sensibilisé, éduqué sur ces thématiques. Pas uniquement   sur le textile d’ailleurs. Il est nécessaire de revaloriser la mode circulaire et responsable car elle redonne le pouvoir au consommateur. Pour y arriver, un cadre légal est essentiel. La France et l’Union européenne peuvent poser des règles et contraindre la concurrence étrangère, pour limiter l’importation de produits dont les conditions de fabrication sont désastreuses sur un plan social et environnemental. De nouvelles règles fiscales pourraient également encourager la consommation de produits en circuit court. 

Nous travaillons beaucoup avec l’Ademe sur la notion d’économie de la fonctionnalité. L’idée est de repenser l’usage de nos vêtements pour maximiser leur utilisation au cours de leur cycle de vie. Cela peut passer par la location ou la réparation plus fréquente des produits. Alors que les vêtements que nous portons n’ont cessé de se standardiser ces dernières années, le fait de les rapiécer offre une opportunité de personnalisation. C’est un cercle vertueux. Si nous avons réussi à faire évoluer les comportements des consommateurs dans le secteur de l’alimentaire, il est également possible de le faire dans la filière textile.

J’ai rencontré récemment un créateur indien avec qui j’ai pu échanger sur les vêtements ayurvédiques. Il me rappelait que, dans la caste des Brahmanes, les vêtements ayurvédiques en fibres naturelles sont trempés dans des bains d’épices et d’Aloe vera afin d’apporter de la sérénité au corps et à l’esprit. C’est un rapport au textile que nous avons fini, à tort, par oublier.

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