Estelle Urbain (Kiabi) : « Concilier une mode responsable, à petit prix et de qualité, c’est possible »

Avec le Covid et désormais l’inflation, le marché de l’habillement se transforme en même temps que les aspirations des consommateurs évoluent. Ces derniers sont de plus en plus demandeurs d’une consommation dite responsable, où se croisent l’occasion, la location et des modes de conception renouvelés de nos vêtements. Estelle Urbain, leader « New Business et New Services » de Kiabi, explique à Actu Retail la stratégie de l’enseigne du Nord de la France sur ces dimensions.

Vous êtes en charge du commerce de demain au sein de Kiabi. Quels enjeux cela représente-t-il pour votre enseigne ?

Estelle Urbain : Nous nous inscrivons, avant toute chose, dans la vision de Kiabi qui est de « faciliter la vie des familles en tissant ensemble une mode responsable et des solutions durables ». Ma mission et celle de mon équipe est de capter les nouveaux modes de consommation des clients, qu’il s’agisse de signaux faibles ou plus prononcés. L’enjeu est ensuite de transformer cette connaissance en idées intéressantes et cohérentes pour Kiabi. Et surtout d’explorer les modèles d’affaires que l’on peut construire autour de ces tendances. 

Cela veut dire concevoir les parcours clients associés, avant de les tester, les piloter et les évaluer. En bout de chaîne, ces idées sont transmises à nos business unit qui les intègrent dans nos stratégies de développement. Notre responsabilité est d’apporter des compléments au modèle actuel de Kiabi, des pistes de pivot si besoin, dans le but d’en assurer la pérennité.

Notre regard à nous est centré sur le client, mais cette volonté d’innovation et d’exploration est bien sûr partagée par l’ensemble de nos collègues – de la supply chain à la conception des produits, en passant par la transformation digitale de l’enseigne. Pour notre part, nous intervenons sur des projets qui sont plutôt transversaux, afin de répondre aux nouvelles pratiques de nos clients.

Pas de commerce du futur sans consommateurs du futur : observez-vous des changements radicaux dans nos modes de consommation ? Assistons-nous à une bascule dans la façon dont nous achetons – par exemple – nos vêtements ?

Estelle Urbain : Dans l’environnement textile, il y a eu évidemment une accélération de l’approche digitale. Cette tendance, déjà existante, s’est considérablement intensifiée. Si elle ne reste pas aux niveaux constatés au moment du Covid, une marche a été gravie par rapport au point de départ. Nous sommes aujourd’hui à un entre-deux entre le taux de digitalisation observé avant le Covid et celui mesuré pendant la pandémie. Chez Kiabi, ce taux se situe désormais entre 15 et 20 % en fonction des pays. Donc oui il y a eu une accélération, mais il y a encore de fortes marges de progrès.

En revanche, le principal impact de cette période que j’ai pu constater sur nos clients concerne leur sensibilité citoyenne et écologique. Cela couvre les notions de seconde main, de circularité, d’usage, etc. Ces approches se sont accélérées à la faveur de deux moteurs concomitants : le pouvoir d’achat d’une part, et la préservation de la planète d’autre part. Cela a clairement favorisé l’émergence de nouveaux modes de consommation. Et nos clients y sont particulièrement sensibles. Depuis plus de 40 ans, Kiabi accompagne le pouvoir d’achat de ses clients et nous sommes fiers de proposer ainsi une mode accessible et de qualité. Le slogan historique de l’enseigne, « la mode à petit prix », est constitutif de notre ADN.

Nos clients veulent eux aussi prendre part à ce mouvement de consommation responsable, quand bien même ils auraient moins de moyens. Cela a accéléré le fait que nous soyons en position de proposer des solutions adaptées, à l’instar de la seconde main dans des corners en magasin ou sur notre plateforme CtoC. Systématiquement, nous cherchons à mener nos projets de façon « crosscanal ».

N’y a-t-il pas un paradoxe apparent dans le fait de vouloir, parallèlement, défendre le pouvoir d’achat des consommateurs et concourir à la préservation de la planète ?

Estelle Urbain : Surtout pas ! Aujourd’hui, nous exerçons notre métier – rendre la mode accessible à tous – surtout sous le format de la première main. Et tout notre enjeu est de construire une vision d’entreprise autour d’une question : comment continuer à le faire en proposant une mode de qualité et à petit prix, ainsi que des services responsables ? À cet égard, plusieurs registres s’additionnent. Le plus important porte sur nos collections en tant que telles. L’impact le plus significatif que nous pouvons avoir en tant que marque de mode est lié aux matières que nous utilisons. Notre objectif est de construire, dès l’amont, des collections éco-conçues. Nous travaillons donc sur des matières soit recyclées – elles composent 20 % de notre mix – soit raisonnées, c’est-à-dire bio, peu gourmandes en eau, etc.

Nos clients sont réceptifs et nous les accompagnons dans cette démarche, en maintenant des gammes de prix équivalentes. Nous ne procédons pas à des ajustements prononcés de prix parce que le produit est éco-conçu. Même si l’éco-conception n’est évidemment pas neutre dans le coût de revient d’un produit.

Pourquoi avoir souhaité investir le créneau de la seconde main ?

Estelle Urbain : Nous sommes très engagés sur cet aspect-là, de façon concrète et pas seulement dans une optique de buzz marketing. Le point de départ vient du client. La seconde main s’est complètement démocratisée et fait partie de la vie des consommateurs. Elle est devenue une attente forte et nous les avons tout simplement écoutés. Accompagner le pouvoir d’achat de nos clients en première ou en seconde main, c’est pour nous le même métier. Notre approche est donc offensive, avec la volonté d’hybrider notre modèle d’affaires. C’est comme cela que le client fonctionne dans sa vie de tous les jours.

Nous avons testé plusieurs directions différentes, qui sont toutes en train de prendre de l’envergure et de s’intégrer les unes aux autres. La première a été de lancer en magasin des corners de seconde main, voire de diffuser directement dans les rayons ce nouvel assortiment. Ces produits sont bien sûr étiquetés en conséquence, mais le parcours client est unique et parfaitement intégré. Ces produits rentrent dans la même politique de services, de retour et d’échange.

En parallèle, nous avons créé une plateforme digitale en CtoC – « Seconde main by Kiabi » – qui permet d’acheter et de vendre des produits « toutes marques ». Nous ne sommes pas excluants. Les clients sont séduits par cette solution, puisque nous proposons un abondement supplémentaire de 20 % aux transactions réalisées. C’est-à-dire que, lorsque vous vendez un jean à 10 euros, vous pouvez recevoir soit directement ce montant, soit un bon d’achat de 12 euros à dépenser sur notre site ou dans nos magasins. L’acheteur, quant à lui, reçoit son jean ainsi que 20 % en bon d’achat chez Kiabi. C’est une façon de récompenser nos clients dans cette participation à une forme de consommation plus responsable.

Pour « boucler la boucle », nous accompagnons nos clients dans la collecte de leurs vêtements en fin de vie. En effet, nous avons développé un service de « Kiabi bag », qui permet au client de déposer un sac avec des vêtements répondant à certains critères (propres, sans trous, etc.). Ce sac est acheminé vers un partenaire logisticien de la seconde main qui les remet dans le circuit. Et le client est là aussi récompensé par un bon d’achat. C’est donc une approche globale sur laquelle nous nous appuyons, combinant le magasin, le digital et la collecte finale.

Vous expérimentez par ailleurs la location de vêtement via un système d’abonnement. Avez-vous déjà de premiers retours ?

Estelle Urbain : Tout ceci irrigue une vision d’ensemble, qui vise à accompagner nos clients vers une façon différente de profiter de la mode. Dans cette perspective, le « grand frère » naturel de la seconde main est ce que l’on appelle l’économie de l’usage. D’où la location de vêtement, qui fait partie du portefeuille de tests et de projets que nous souhaitons voir grandir. Nous avons démarré un premier test l’an dernier, en digital, sur un segment de clientèle spécifique qui est celui de la maternité. Au vu de la dimension du test, nous avons constaté une très forte adhésion. Ceci nous a amenés à ne plus nous cantonner à la maternité, mais à ouvrir la location de vêtement à l’ensemble de notre offre.

Nous venons donc de lancer une deuxième étape dans notre apprentissage en la matière, qui est la location sur la totalité d’un magasin avec un format d’abonnement. Proposé de 19 à 49 euros, celui-ci permet de louer un nombre déterminé de vêtements. Ce format d’abonnement a été initié dans trois magasins, à Noyelles-Godault, au Pontet et à Bègles. Dans le cadre du forfait auquel il souscrit, le client entre dans un espace de liberté total. Il peut renouveler ses vêtements au rythme qu’il le souhaite, dans tous les rayons de son choix.

Si les vêtements sont ramenés un peu abîmés, nous considérons que cela fait partie de la vie des produits. Ce ne sont pas des pièces de musée, surtout pour notre clientèle enfant et bébé – deux points d’entrée importants pour Kiabi. Notre ambition est d’apprendre en même temps que nos clients pour déployer ce système de façon plus large, avec le digital comme complément. Trois semaines après le lancement, nous avions déjà commercialisé les 300 abonnements que nous avions prévus.

En plus de toutes ces initiatives centrées sur le consommateur, développez-vous des actions spécifiques pour limiter votre empreinte carbone ?

Estelle Urbain : Définitivement oui. L’empreinte carbone du textile est évidemment importante. La première façon de la réduire, c’est de ne pas reproduire un vêtement. La location et la seconde main ont nécessairement un impact positif sur cette empreinte. Dans ce schéma, c’est la matière qui est la plus impactante sur l’environnement. Le transport, en proportion, se situe à des niveaux bien inférieurs – même si également à diminuer ! Ceci explique les efforts que nous portons en matière d’éco-conception.

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