Émilie Brossier-Bruneau (Ekoo) : « L’audio permet de créer un attachement avec une marque et donner envie de la découvrir »

Dopé à la faveur de la crise sanitaire, le Voice Marketing permet de capter l’attention des consommateurs qui se détournent de la lecture des fiches produits. La start-up Ekoo en a fait son cœur de métier, en offrant aux enseignes la possibilité de renouveler leur stratégie marketing grâce au format audio. Rencontre avec Émilie Brossier-Bruneau, co-fondatrice de la jeune pousse.

Pourquoi avoir souhaité explorer le champ de la voix dans l’univers du retail et des marques ? 

Émilie Brossier-Bruneau : Je suis moi-même un « bébé » du retail, puisque je viens du groupe Adeo. J’ai fait partie de l’équipe fondatrice de Zôdio, où j’y ai développé le digital et la communication. C’est là où j’ai rencontré mon associé qui, lui, s’occupait du marketing. Notre apprentissage du retail chez Zôdio a été très important dans le développement d’Ekoo. Zôdio est le seul projet d’intrapreneuriat du groupe Adeo, et l’un des rares du groupe Mulliez. Nous avions tous un profil « d’acteur entrepreneur ». 

Avec mon associé, nous avons toujours eu ce goût pour « défricher » des projets à partir d’une page blanche. Après Zôdio, nous avons donc monté une première start-up qui s’appelle Peaulette. Il s’agit d’une plateforme de cosmétiques naturels. L’idée a été de lancer le Nocibé du naturel et du bien-être. Peaulette s’est très vite développée et nous avons revendu la start-up au bout d’un an. Nous nous sommes alors mis en quête d’un nouveau projet, après la crise du Covid.

J’ai souhaité me concentrer sur les changements d’habitude induits par la pandémie. Et grâce à Peaulette, j’ai réalisé que les consommateurs ne lisent plus ou peu les contenus marketing. Nos clientes nous posaient des questions alors que les réponses étaient écrites noir sur blanc sur les fiches de nos produits cosmétiques. En parallèle, j’organisais régulièrement des live sur Instagram. Quand j’invitais des créateurs à raconter l’histoire de leur marque, les ventes explosaient. J’ai donc interrogé nos clientes qui m’ont répondu deux choses. La première est que, en réalité, elles ne « regardent » pas le live. Elles posent leur téléphone et le suivent tout en faisant autre chose. La seconde est que le fait « d’écouter » une histoire permet de créer un attachement avec une marque et donner envie de la découvrir.

Il y a donc deux phénomènes concomitants. D’une part, les consommateurs ne lisent plus le contenu qui leur est proposé. D’autre part, les messages vocaux explosent notamment auprès des adolescents. Les générations plus âgées ne sont pas en reste, puisque je vois mes propres parents commencer à dicter leurs requêtes sur Google. Le format podcast lui-même s’est considérablement développé. Tout ceci m’a fait comprendre l’ampleur du mouvement à l’œuvre autour de la voix.

Un jour, en suivant justement un podcast, j’écoute Martin Ohannessian qui est le fondateur du Petit Ballon – une marketplace dans l’univers du vin. Il explique alors que le sélectionneur de leurs vins est l’ancien chef sommelier du Ritz, Jean-Michel Deluc. Je me suis fait « prendre au piège », puisque ce podcast m’a donné envie d’aller sur leur site et de découvrir leurs bouteilles. Je découvre à ce moment des fiches produits tout ce qu’il y a de plus classique – un prix, un descriptif, une photo. Et là, cela a été comme une évidence pour moi : ce que je souhaite, ce n’est pas lire – cela ne m’intéresse pas – mais pouvoir cliquer sur un vin et écouter Jean-Michel Deluc me raconter pourquoi il a sélectionné cette bouteille.

C’est comme cela qu’est née l’idée derrière Ekoo, à savoir une plateforme qui permet d’intégrer facilement en ligne des capsules audios pour raconter des produits, des services ou une marque employeur. L’audio, en outre, est un moyen d’encourager les clients à laisser davantage d’avis en leur permettant de raconter leur expérience d’un produit « avec le cœur ». Savoir exprimer une émotion, un enthousiasme par écrit, c’est un vrai savoir-faire. A contrario, tout le monde sait exprimer ses émotions par la voix ! C’est comme cela que j’ai tiré le fil d’Ekoo.

L’esprit général d’Ekoo est donc d’intégrer de l’audio dans la façon dont les marques peuvent s’incarner. Vous développez à partir de cela plusieurs métiers : les avis clients, la description des produits et la présence en magasin. Pouvez-vous détailler ces trois approches ?

Émilie Brossier-Bruneau : En effet, il y a d’abord le « voice content » qui permet de mieux comprendre les produits, les services, la marque. Les équipes des enseignes créent elles-mêmes du contenu sous la forme de capsules audios, que notre plateforme intègre et optimise sur leur site. Les équipes racontent avec leurs propres mots leur savoir-faire, en enregistrant en autonomie leurs audios.

Ensuite, la plateforme permet d’envoyer des liens aux clients qui, avec leur smartphone, peuvent laisser un témoignage audio directement sur une fiche produit. Je parle davantage de témoignage que d’avis car nous n’avons pas vocation à nous substituer à un Bazaarvoice. Les enseignes que nous accompagnons avec Ekoo ont souvent envie d’apporter le témoignage de clients ambassadeurs, pour pouvoir raconter leur expérience par le truchement de la voix. Nous sommes davantage un outil de témoignage vocal que de collecte d’avis en masse.

Enfin, nous avons souhaité que l’audio ne reste pas enfermé dans un format digital. Nous relayons donc les audios en magasin, à l’aide de QR codes, pour que les enseignes puissent « murmurer » à l’oreille de leurs clients en tout lieu et à tout moment. Cette approche procède d’un double constat : il est impossible de placer un conseiller derrière chaque produit et certains sont très spécifiques. Je prends souvent l’exemple des poivres – il en existe une trentaine chez Zôdio. L’idée est de pouvoir scanner le produit sur le point de vente et écouter dans quelles conditions s’en servir, dans la mesure où le packaging ne le précise pas. Il en va de même pour le Furet du Nord, l’un de nos clients. Les libraires laissent leur coup de cœur sur le site, qui peut être écouté en magasin. C’est en cours de déploiement.

En revanche, une telle solution ne risque pas de remplacer le vendeur « physique ». Ce que l’on remplace, c’est le vide quand il n’y a personne. Les consommateurs préféreront toujours leur conseiller, mais ils n’aiment pas attendre. Et il n’y a rien de pire que laisser partir un client parce qu’il n’a pas pu être pris en charge. Le conseiller sera toujours roi.

Avez-vous des indicateurs qui viendraient témoigner de l’efficacité de ces audios ? À l’ère de TikTok et des « short » de quelques secondes, les consommateurs les écoutent-ils jusqu’au bout ?

Émilie Brossier-Bruneau : Lorsque les capsules audios de nos clients font entre 30 et 45 secondes, 80 % des consommateurs ayant cliqué les ont écoutées entièrement. Nous accompagnons par exemple Picard : la bûche de Noël la plus vendue de France a suscité des milliers d’écoutes, dont 85 % en entier. Même lorsque les capsules audios portent sur des aspects techniques, comme un programme de fidélité, cette moyenne se vérifie. Sur un aspect « performance », on constate 40 % d’augmentation du taux de transformation pour les consommateurs ayant écouté un audio. Mais la capsule doit être bien positionnée, c’est-à-dire au-dessus de la ligne de flottaison : sinon pas vue, pas écoutée !

Les retailers sont-ils sensibles à ces nouvelles formes d’incarnation ? Manifestent-ils un intérêt immédiat pour le recours à l’audio dans leurs rapports avec les consommateurs ?

Émilie Brossier-Bruneau : Il y a un vrai engouement aujourd’hui. Les retailers apprécient le côté « facile » de l’audio. Ils connaissent tous la vidéo et y ont souvent laissé des milliers et des milliers d’euros. Un contenu vidéo est très chronophage à produire et, en fin de compte, est souvent peu vu. C’est donc beaucoup d’argent pour un faible retour. La vidéo n’est d’ailleurs pas idéale dans une logique d’incarnation par ses collaborateurs, car l’exposition à l’image est généralement un frein – que l’on ne retrouve pas dans l’audio.

Il faut parfois dire aux équipes de faire une pause dans la création d’audios le temps d’avoir de premiers retours, tellement c’est facile à produire et valorisant en interne. Nous travaillons avec Jules, pour raconter les secrets du jean « le cinq neuf » ou du tee-shirt « le parfait ». Les taux d’écoute sont excellents et, en interne, c’est une vraie fierté pour les équipes de pouvoir être mises en lumière au travers des audios, en prêtant leur voix. Les collaborateurs nous disent que c’est un projet sympa, au service des gens, des équipes et des produits.

Dans les capsules audios, ce ne sont jamais des acteurs mais bien celles et ceux qui sont en lien avec les produits. Chez Picard, ce sont les chefs de produit, chez Jules les stylistes, au Furet du Nord les libraires, etc. Cette petite voix, c’est le vendeur qui ne dort jamais et qui est toujours présent pour « murmurer » à l’oreille de façon non intrusive, puisque toujours à la demande du consommateur qui souhaite se renseigner sur un produit, un service ou une marque.

La période du Covid a amené de nombreux bouleversements dans nos habitudes de consommateur. On parle davantage de proximité, d’authenticité et de meilleure information des consommateurs avant de procéder à l’acte d’achat. Ces notions sont-elles directement liées à Ekoo ? 

Émilie Brossier-Bruneau : C’est exactement cela. Les consommateurs veulent tout savoir, ont conscience de leur caractère unique et n’achètent plus pour acheter. Le temps de la consommation de masse sans se poser de question est révolu. Et quand le consommateur est touché au cœur, qu’il vit une émotion, cela concourt au développement des enseignes.

Je ne crois pas que des marques fassent délibérément de mauvais produits. Tous les retailers que je rencontre se posent des questions pour aider leurs clients à bien choisir. Personne ne se lève le matin pour faire de mauvais produits. Par contre, je crois au mauvais choix. Cela nous est tous arrivé d’acheter quelque chose que l’on n’utilisera jamais. L’audio, c’est vraiment pour aider des consommateurs qui n’ont pas d’argent à gaspiller. Si Ekoo peut modestement aider les consommateurs à bien choisir, c’est moins de retours coûteux en argent pour les enseignes et en temps pour les clients. C’est aussi moins de produits achetés et gaspillés. Il n’y a pas de mauvaise surprise et donc, quelque part, cela concourt à une consommation juste.

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