Patrick Asdaghi (Carbon Maps) : « La comptabilité analytique environnementale, au service de la durabilité des entreprises »

Attendu en France en ce début d’année, l’éco-score résulte de l’application de la loi climat et résilience de 2021. L’analyse de l’impact environnemental des produits est ainsi devenue un sujet central pour les entreprises du secteur agroalimentaire et les distributeurs, afin d’éclairer les choix du consommateur et d’engager une évolution vertueuse de leurs offres. Carbon Maps a pour projet d’accompagner ses clients dans cette démarche en devenant une tierce partie de confiance dans l’analyse de leur impact environnemental. Actu Retail a pu aller à la rencontre de Patrick Asdaghi, son président et co-fondateur.

Dans quel contexte vous êtes-vous intéressé à l’empreinte environnementale des produits issus de l’industrie agroalimentaire ?

Patrick Asdaghi : Cela fait un moment que cette thématique m’intéresse. Avant Carbon Maps, j’ai co-fondé FoodChéri en 2015, projet avec lequel nous avions fait le choix de proposer une carte pour moitié végétarienne. À l’époque, c’était un pari très ambitieux. Avec FoodChéri, nous proposions déjà des dizaines de milliers de repas par jour. Nous disposions d’une cuisine centrale et étions avant tout des restaurateurs. Nous avons été parmi les premiers à déployer en masse le Nutri-score ainsi qu’une première version de l’éco-score. Cette version avait été co-construite avec Yuka.

Nous avons ensuite décidé de retirer l’avocat et le bœuf de nos plats. Notre positionnement était donc résolument engagé et nous avons fait beaucoup de publicité à ce sujet afin de témoigner de notre engagement et d’expliquer pourquoi nous excluions certains ingrédients de nos recettes. Nous avons également beaucoup écrit sur le fait qu’un repas végan ne représente que quatre à cinq cents grammes de CO2 contre deux à trois kilogrammes pour un plat carné. Ce travail pédagogique a été primordial dans le cadre de FoodChéri. Finalement, Carbon Maps s’inscrit dans la continuité de cet engagement. Je suis moi-même devenu végan et cela fait donc bientôt dix ans que j’explore ces sujets.

Quels sont les activités de Carbon Maps et les principaux indicateurs mesurés par votre plateforme ?

Patrick Asdaghi : Carbon Maps est la première plateforme de comptabilité analytique environnementale dédiée à l’industrie agroalimentaire. Nous avons pour ambition de créer le SAP de l’environnement pour les acteurs de l’alimentaire. Notre solution repose sur un moteur de calcul et de cartographie d’ingrédients. Nous collectons des informations sur des milliers de produits et d’ingrédients auprès de nos clients, puis les traitons, les rapprochons de facteurs unitaires d’émissions et d’impact pour générer un score. Nous nous appuyons sur des méthodes similaires à celles de l’analyse de cycle de vie, qui est standardisée. C’est le cœur de notre offre. 

Nous développons également des modules applicatifs de benchmarking et d’aide à la décision pour les acheteurs. Bientôt, nous proposerons un module de simulation de l’éco-score, une fois les méthodes de calcul rendues publiques. En synthèse, il s’agit donc d’une suite logicielle complète qui s’appuie sur les technologies de cartographie et de scoring que nous avons développées. Celles-ci reposent sur des modèles de calcul conçus par l’Inrae pour les différentes filières agricoles. Le but est, in fine, de produire des calculs d’impact simplifiés pour chacune de ces filières.

Les métriques relatives aux émissions de gaz à effet de serre sont-elles les seules suivies par votre plateforme ?

Patrick Asdaghi : Non, notre vocation est d’être un outil holistique, global, multi-indicateurs. Un score environnemental, tel que l’éco-score, ne tient pas compte uniquement du carbone mais également de l’impact d’un produit sur la biodiversité, de son écotoxicité et des consommations de ressources associées – comme l’eau. Notre vocation est bien de créer une plateforme de comptabilité multi-indicateurs. 

Nous ne sommes encore qu’aux prémices de cette aventure entrepreneuriale et c’est également le cas des acteurs de cette industrie qui entame son parcours de durabilité. Cela passe d’abord par une meilleure compréhension de l’existant. Il est encore un peu tôt pour prétendre avoir dépassé cette phase préliminaire. La biodiversité commence à faire l’objet d’une attention redoublée, mais le niveau de maturité des entreprises sur cette question reste bien plus faible que sur les émissions de gaz à effet de serre.

Comment la plateforme proposée par Carbon Maps orchestre-t-elle la collecte des données nécessaires au calcul des différents indicateurs ?

Patrick Asdaghi : Plusieurs options sont proposées, mais notre offre standard est simplifiée et générique. Elle consiste à attribuer un score aux ingrédients, aux matières premières et aux produits, de manière rapide et sur un portefeuille comprenant des dizaines de milliers de références. Nous collectons des données très variées – les recettes, les compositions, les libellés – et les associons aux données environnementales de référence présentes dans des bases comme Agribalyse.

Il s’agit d’un premier niveau d’analyse qui nous permet d’aider le client à dresser une cartographie de son impact environnemental à l’échelle du produit, sans avoir à interroger tous ses fournisseurs. Pour un distributeur disposant de dix à vingt milles codes-barres, nous parvenons à estimer l’impact environnemental de ses produits de manière rapide et simplifiée – ce qui est aujourd’hui un enjeu pour de nombreux secteurs

Pour les clients souhaitant aller plus loin en engageant leurs fournisseurs, nous allons nous-mêmes modéliser et calculer des facteurs d’impact spécifiques à chacun d’entre eux. Nous allons ainsi identifier les fournisseurs ayant le plus d’impact et qui sont les plus émissifs. Il est ensuite possible de calculer pour cette sélection de fournisseurs des facteurs d’émissions spécifiques grâce à nos modèles, en conservant toujours la littérature scientifique comme assise méthodologique.

Cette démarche d’évaluation a-t-elle pour ultime vocation de proposer des pistes d’amélioration à vos utilisateurs sur certains produits ?

Patrick Asdaghi : Tout à fait, le calcul en lui-même n’est pas une fin en soi. Il permet d’établir ce que j’appelle « le niveau de la mer » afin d’aider ensuite nos clients à simuler des trajectoires de durabilité, avec différents paliers qu’une entreprise peut atteindre. Notre plateforme a pour but d’émettre des recommandations sur les actions clés à mettre en œuvre, à la maille du produit, du fournisseur ou bien encore du transporteur.

Comment votre offre s’articule-t-elle avec l’éco-score ? 

Patrick Asdaghi : Notre outil va aider les industriels à massifier le calcul de l’éco-score pour chacun de leurs produits. Nous sommes en fait assez agnostiques quant au type de score proposé. Nous sommes une plateforme de calcul et de comptabilité. Peu importe la norme ou le score proposé, nous serons en mesure de le calculer simplement en intégrant l’algorithme associé dans nos moteurs d’analyse.

Nous connaissons bien l’environnement de l’Ademe, en tant que membre du comité des partenaires. Nous serons capables de calculer tous les indicateurs de base recommandés par cette agence, avec l’outil que nous avons déjà construit. Il suffit d’intégrer la formule de calcul de l’éco-score à notre plateforme pour générer un score unitaire par produit. Les industriels pourront donc disposer, grâce à notre plateforme, d’une référence fiable, opposable et auditable. Nous devenons en ce sens une tierce partie de confiance en mesure d’effectuer ces calculs pour eux.

Évaluez-vous également de façon plus générale l’impact de vos clients, par exemple au moyen d’un bilan carbone complet ?

Patrick Asdaghi : Nous produisons également des bilans carbone et nos data scientists sont certifiés en la matière. Néanmoins, ce n’est pas le cœur de métier de Carbon Maps. Notre objectif est bien de proposer une offre qui n’existait pas auparavant, à savoir une comptabilité analytique à la maille des produits, des matières premières et des fournisseurs.

Quelles sont les perspectives de développement de Carbon Maps ? 
Patrick Asdaghi : Nous sommes actuellement une quinzaine de salariés. Ce chiffre devrait doubler d’ici fin 2024. Nous avons une douzaine de clients industriels qui sont, en général, leaders dans leur domaine. Ces clients sont tous présents dans plusieurs zones géographiques, européennes ou mondiales, et nous aimerions pouvoir les accompagner sur l’ensemble de leur périmètre d’action.

Keep Exploring
Négociations commerciales : les grands industriels trop gourmands ?