Thomas Zavrosa (Dékuple) : « La ‘first party data’ est capitale pour les marques grande conso »

Alors que toutes les données ne se valent pas, il importe plus que jamais d’identifier celles qui apportent le plus de valeur ainsi que les moyens de les faire vivre, les animer et les nourrir dans le temps. Directeur associé au sein de l’agence Dékuple, en charge du planning stratégique, Thomas Zavrosa répond aux questions d’Actu Retail sur les enjeux et opportunités de la collecte de data pour les marques de grande consommation.

Pourquoi la collecte de data est-elle un défi clé pour les marques de grande consommation ?

Thomas Zavrosa : Elle est clé à double titre. Par nature, les marques FMCG sont intermédiées. La plupart d’entre elles n’ont pas de circuit de vente direct, que ce soit physiquement ou online, le lien avec le client étant assuré par les distributeurs. Elles ne disposent donc pas d’un accès direct à leurs consommateurs. Et d’autre part, à l’heure où l’on parle de la fin des cookies et de la baisse des niveaux de reach organique voire payant, avoir un tel accès redevient un enjeu majeur de maîtrise de son capital client.

Ce point est important pour des logiques autant d’acquisition que de fidélisation ou de compréhension de l’usager en bout de parcours. Déjà fortement tributaires des « third party data », c’est-à-dire émanant d’acteurs tiers, les marques de grande consommation courent le risque de perdre encore davantage le lien avec leurs consommateurs.

Quelles sont les données les plus stratégiques pour ces marques ?

Thomas Zavrosa : Les plus stratégiques sont celles dénommées « first party data ». Il s’agit des données dont l’annonceur est en quelque sorte propriétaire, bien qu’elles appartiennent toujours aux individus concernés. Autrement dit, ce sont les données récoltées sans intermédiaire. C’est avec la « first party data » que les marques auront le plus de facilité à travailler. En effet, elles y ont un accès direct et non rémunéré. Une fois que ces données ont été captées, les marques n’ont plus à payer un média ou un retailer pour la consulter.

La « first party data » est capitale parce qu’elle est la plus proche du consommateur. Quand ce dernier accepte le partage de ses données, cela traduit un lien de proximité évident avec la marque. Il incarne son cœur de cible. Et lorsque l’on cherche à comprendre son audience, à analyser les profils de consommateurs au travers de ce que l’on appelle la connaissance enrichie, la « first party data » sera plus représentative de la cartographie réelle de la clientèle, même si la base étudiée est plus restreinte.

Quelles stratégies les marques peuvent-elles déployer pour générer de telles données ?

Thomas Zavrosa : Les marques de grande consommation – de type biscuits, yaourts ou café – estiment souvent qu’elles n’ont pas grand-chose à raconter à leurs clients. Elles considèrent qu’elles ne sont pas des love brands, au contraire d’un Red Bull ou d’un Coca-Cola. Leur interrogation est alors la suivante : comment vais-je bien pouvoir réussir à intéresser mes clients ?

En réalité, une marque a toujours mille histoires à raconter aux consommateurs. La question est de savoir sur quel atout elle peut s’appuyer pour les inciter à partager leurs données. La création d’une valeur ajoutée de la marque vers le consommateur reste le contrat de base. Autrement dit, j’accepte – en tant que client – de diffuser mes données si j’obtiens quelque chose en retour.

Cette valeur ajoutée peut prendre deux formes différentes. Elle peut être servicielle : quel type de service la collecte de données rend-elle possible ? Nous avons mis en place avec Brossard, par exemple, une plateforme communautaire d’échange de magnets à coller sur le frigo. Nous nous étions en effet aperçus que les consommateurs s’en échangeaient naturellement, au travers d’outils de mise en relation comme Le Bon Coin. En créant un service directement sur le site de Brossard, permettant à tout un chacun d’avoir accès à un moteur de recherche de magnets, les clients sont amenés à ouvrir un compte et à renseigner des informations personnelles telles que leur adresse mail ou leur code postal. Le consommateur y consent dès lors qu’il bénéficie d’un service en retour.

Un deuxième niveau de valeur ajoutée relève du transactionnel : que puis-je offrir à mes consommateurs en matière de bon de réduction ou d’essai de nouveaux produits ? Et ces deux types de valeur ajoutée, servicielle ou transactionnelle, représentent des leviers particulièrement efficaces de motivation en vue de collecter des données. Les consommateurs sont prêts à partager leurs données à partir du moment où ils y trouvent un intérêt.

Parmi les phénomènes retail qui interrogent ce lien entre le consommateur et la data, se trouve en pole position le métavers. S’agit-il pour vous d’un effet de mode ou d’une tendance durable ?

Thomas Zavrosa : Je pense que le métavers est une tendance durable, appelé à s’installer dans le temps. En revanche, subsistent de nombreux fantasmes autour de la question. Le métavers s’accompagne encore de l’imaginaire de Ready Player One ou de Matrix, selon lequel nous serions branchés dans un monde complètement virtuel, recréé en 3D, où tout se passerait comme dans la vie réelle tandis que nous nous trouverions allongés avec un casque. Cette représentation est bien sûr erronée. Déjà parce que, techniquement, ce n’est pas près d’arriver. Et cela ne devrait jamais être le cas, car une prime sera toujours donnée aux expériences réelles. 

Ce qui est certain, c’est que ce phénomène va durer car tous les usages restent encore à inventer. Le métavers est devenu le mot à la mode, on en parle beaucoup depuis six mois, mais les mondes digitaux alternatifs existent en fin de compte depuis vingt ans avec Second Life. Même Roblox a été conçu en 2004 et 2005. Des jeux comme Minecraft ou Animal Crossing sont présents depuis des années. Il n’y a donc pas de révolution en tant que telle, 2021 ne marquant en aucune façon l’avènement d’un Big Bang.

La nouveauté est que les marques commencent à y voir leur intérêt. De même, la société est bien plus mature et réceptive qu’elle ne l’était au lancement de Second Life, et les infrastructures techniques sont désormais aptes à supporter de réelles expériences immersives. Tout reste à faire et il est à parier que nous n’avons entraperçu que moins de 1 % des possibilités du métavers.

Pour moi, la vraie révolution se situe dans le champ des NFT. Là, il y a une rupture d’usage et de technologie. Les NFT deviendront, demain, le point d’entrée des stratégies relationnelles des marques.  Alors que le métavers, si l’on caricature, n’est ni plus ni moins qu’un site internet en 3D. C’est juste un « upgrade » de ce qui existe dès à présent. A contrario, les NFT sont de nature différente. C’est un contrat, un jeton avec lequel tout est possible. Prenons Yoplait : des bouteilles de Yop pourront être vendues en série limitée, donnant accès à une plateforme de contenus exclusifs sur les partenariats de la marque. Le produit en lui-même devient une carte de membre de la communauté Yop. Et cette carte de membre peut être intégrée à mon téléphone, tout en n’étant pas falsifiable grâce à la blockchain.

Tous ces phénomènes seront assurément durables. Pas dans leur état actuel, puisque beaucoup d’expérimentations se rapprochent encore du gadget. C’est normal, c’est le propre de tout nouvel outil le temps que les utilisateurs le découvrent et se forment. Et je vous rassure, notre monde ne va pas se transformer en une matrice gigantesque. Un juste équilibre va s’opérer.

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