Thibault Mathieu (Wilkins Avenue AR) : « La réalité augmentée est une technologie au service du storytelling et de l’expérience client »

Le métavers anime de nombreuses discussions dans l’univers du retail, certains y voyant les prémices d’un terrain de jeu infini et d’autres estimant la vague déjà passée. Au rang des convaincus, la start-up Wilkins Avenue AR conçoit et produit des expériences immersives et innovantes pour de grandes marques, en s’appuyant sur la réalité augmentée. Thibault Mathieu, le fondateur de la jeune pousse, a répondu aux questions d’Actu Retail

Le terme « métavers » peut prendre des significations assez variées : quelle est votre vision du métavers et pourquoi vous y êtes-vous intéressé ? 

Thibault Mathieu : Chez Wilkins Avenue AR, nous faisons ce que l’on appelle du « métavers du monde réel ». Notre approche est de créer des expériences associant les mondes physique et digital. Notre métier est de concevoir des couches de contenus 3D spectaculaires, interactifs et narratifs, qui viennent se superposer au monde réel pour le transformer, le réenchanter, le rendre en somme plus magique, plus drôle et plus social. Et nous appliquons cette approche au retail pour transformer l’expérience d’achat et l’expérience de découverte des produits, principalement en point de vente. 

Nous sommes très orientés « retailtainment ». En effet, notre équipe a une forte expérience de l’univers du divertissement : notre directeur 3D est l’un des créateurs des Minions et, de mon côté, j’ai eu l’occasion de travailler à Los Angeles dans le cinéma et la création digitale. Nous avons à cœur d’utiliser la réalité augmentée pour immerger les consommateurs dans un univers de marque, sans les couper du monde réel. 

Notre objectif est de transformer n’importe quelle boutique en expérience « flagship », en Disneyland, avec tout un univers de marque qui vient se déployer autour des produits physiquement présents dans l’environnement réel de l’utilisateur. C’est cela que nous appelons le « métavers du monde réel ». 

Y a-t-il des familles de projets sur lesquelles vous travaillez plus spécifiquement ? 

Thibault Mathieu : Nous raisonnons par type de déploiement. Des déploiements peuvent par exemple être réalisés à partir de lunettes de réalité augmentée. C’est par ce type de déploiement que nous avons commencé. Notre première expérience d’importance a ainsi été conduite pour le Comic-Con grâce à des lunettes de réalité augmentée Magic Leap. Lancôme a par la suite été séduit par cette proposition de valeur, ce qui nous a amenés à travailler sur plusieurs collaborations. Désormais, nous intervenons principalement pour des marques des secteurs du luxe et de la cosmétique. 

Concrètement, nous avons transformé le « flagship store » de Lancôme situé sur les Champs Élysées grâce à la réalité augmentée, en faisant pousser des fleurs autour des utilisateurs, en ouvrant des portails virtuels vers des mondes imaginaires ou bien encore en donnant vie à des guides virtuels qui vous accompagnent dans le magasin. 

Le deuxième type de déploiement, qui représente aujourd’hui la majorité de notre activité, porte sur l’ensemble des expériences liées à une utilisation « web » du smartphone. Elles s’appuient sur le navigateur du smartphone, sans application additionnelle nécessaire. Il suffit de scanner un QR code et l’expérience commence. Vous vous retrouvez alors entouré de contenus 3D sans toutefois être coupé du monde physique. 

Le troisième type de déploiement, sur smartphone toujours, inclut des expériences beaucoup plus sociales qui se manifestent via Instagram, Messenger, Snapchat et TikTok. Nous sommes actuellement partenaires de Meta, de Snap, de Qualcomm et de Magic Leap. Nous comptons donc de nombreux partenariats, relatifs à une grande variété de technologies, pour correspondre à la diversité des approches de déploiement proposées à nos clients.  

Les expériences sur lunettes de réalité augmentée sont des expériences « in store », premium, événementielles, VIP et sans véritable possibilité de mise à l’échelle. Les expériences sur smartphone sont, pour leur part, totalement « scalable ». La dernière expérience développée avec Lancôme a été déployée dans plus de cent pays et dans plusieurs milliers de points de vente. Ces expériences sont accessibles facilement, avec de très bons taux de conversion et d’engagement pour les personnes participant à l’expérience. Ces consommateurs sont redirigés, via des « call-to-action », vers les sites e-commerce des différentes marques pour lesquelles nous déployons les expériences. 

Avez-vous le sentiment qu’une étape majeure est en train d’être franchie dans l’adoption de la réalité augmentée, notamment au regard de l’annonce récente d’Apple sur le déploiement de Vision Pro ?

Thibault Mathieu : À contrepied d’autres acteurs, nous avons amorcé notre activité grâce à la création de contenus sur lunettes de réalité augmentée. Il s’agit de notre première expertise. Nous avons été les premiers partenaires français de Magic Leap et nous avons déployé des expériences ambitieuses, que ce soit celle pour le Comic-Con ou celle pour le « flagship store » de Lancôme. Cet historique nous place en bonne position, même à l’échelle internationale, pour proposer des histoires et des parcours en réalité augmentée sur lunettes. Nous avons donc bien sûr des projets en cours de développement avec Vision Pro. Qu’est-ce que cela va changer ? Tout ! 

Nous rentrons actuellement dans l’ère du « spatial computing ». Il s’agit de la troisième vraie révolution de l’informatique, après l’ère de l’ordinateur personnel initiée dans les années 1980 avec la sortie du Mac et l’ère du smartphone initiée en 2007 avec celle de l’iPhone. En 2024, nous entrerons dans cette nouvelle ère qui repose sur la spatialisation de l’information. Ce que vous faisiez sur une page internet en 2D est aujourd’hui spatialisé autour de vous.

Les environnements de marques ne sont plus visualisés à la télé, au cinéma ou sur une page web. Maintenant, ces environnements sont déployés dans l’espace, via des supports virtuels ou directement par le biais de la réalité augmentée. Dans les deux cas, l’information est spatialisée. Chez Wilkins Avenue AR, nous nous présentons comme des storytellers, au service des marques et du retail, en spatialisant l’information autour de l’utilisateur, que ce soit chez lui ou dans une boutique. 

La vraie question, pour nous, est de savoir comment narrer cet univers de marque pour embarquer le consommateur dans une expérience mémorable. Le tout en mettant la technologie au service du storytelling. Dans la mesure où toute notre équipe est issue de l’univers du divertissement, nous avons davantage un ADN de storyteller que de marketer. Les technologies, que l’on parle de lunettes ou de smartphones, doivent être utilisées pour créer des émotions – c’est un point essentiel pour nous. C’est en définitive une nouvelle façon de raconter l’histoire d’une marque. 

Certains évoquent l’utilisation de lentilles afin de proposer des expériences en réalité augmentée. Est-ce un scénario crédible de votre point de vue ? 

Thibault Mathieu : Je suis convaincu que cela arrivera. Pour l’instant, la réalité augmentée se vit sur smartphone. Elle se vivra demain sur des casques de réalité augmentée. Après-demain, des petites lunettes comme des Ray-Ban permettront d’ajouter au monde réel des couches d’informations complémentaires. Et à beaucoup plus long terme, effectivement, je pense que l’utilisation de lentilles pourrait devenir une réalité, révolutionnant la manière dont nous communiquons, dont nous nous divertissons et dont nous consommons. 

La réalité augmentée n’est pas un concept nouveau : Apple investit depuis des années dans les technologies y afférentes. Grâce à Apple, Snapchat ou Meta, ces technologies ont connu des progrès fulgurants. Si ces sociétés investissent autant, c’est parce que l’objectif est de remplacer à terme tous nos iPhones. Demain, nous pourrons « voir » le monde en réalité augmentée.

Nous pourrons contrôler une projection de nous-mêmes de la même manière que nous pouvons aujourd’hui personnaliser nos avatars dans les métavers – en achetant des nouveaux « skins » sur Fortnite, par exemple. De nouveaux codes de beauté pourront émerger et nous permettront de changer notre image comme nous changeons nos vêtements ou notre maquillage au quotidien. 

Nous sommes au tout début de cette révolution du retail, avec en ligne de mire des expériences d’achat et de divertissement augmentées. Les opportunités associées sont colossales. 

Vous intéressez-vous également à l’extension de ces expériences au-delà du seul secteur du luxe, par exemple au sein de la grande distribution ?

Thibault Mathieu : C’est une très bonne question. Avant de vous répondre, je crois qu’il est important de préciser certains points quant à notre écosystème de partenaires. Nous sommes d’importants partenaires de Meta sur la création d’expériences en réalité augmentée, mais également de Snap – qui sont leurs concurrents. Nous avons déployé d’autres partenariats afin d’être présents sur un large éventail de technologies, notamment par le biais de Qualcomm et Magic Leap. Nous sommes experts en réalité augmentée mais restons agnostiques quant au choix des plateformes sur lesquelles nos solutions sont déployées. Dans le même esprit, nous sommes un partenaire de L’Oréal – faisant partie des cinq start-up accélérés conjointement par L’Oréal et Meta –, mais il ne s’agit pas d’une relation exclusive. 

Venant du monde du divertissement, nous avons assez naturellement été approchés par des maisons de luxe. Un projet pour Maybelline est sur le point d’aboutir et nous avons également travaillé pour Tissot, Lancôme – entre autres. Il y a un besoin naturel chez ces marques de raconter leur univers, leur histoire aussi bien avec certains contenus publicitaires traditionnels qu’avec de nouvelles formes de storytelling. Et c’est probablement aussi pour cette raison que les maisons de luxe ont été parmi les premières à investir des métavers comme Fortnite, Roblox et Zepeto. 

Mais nous ne nous limitons pas aux marques de luxe. Nous avons récemment signé des contrats avec Unilever et Coca-Cola. Nous gardons simplement notre ADN de créateur de contenus de qualité, avec une patte graphique qualitative qui suscite des émotions sans être exclusive au luxe, ni à la beauté. 

Nous constatons l’émergence de nombreux nouveaux cas d’usages. Nous sommes par exemple engagés dans un projet important, en collaboration avec Meta, pour un constructeur automobile. Nous sortons de notre zone de confort car nous devons toucher de nouvelles générations de consommateurs. Toutes ces marques ont de vrais enjeux, qu’elles appartiennent aux secteurs du luxe ou de la distribution. Ces sociétés vont devoir rajeunir leur audience et comprendre les codes de consommation émergents. Les nouvelles expériences que nous proposons contribuent à cet objectif. 

Nous sommes, à mon sens, à un point de bascule où les frontières entre le divertissement et le retail deviennent plus poreuses. Dans le futur, une expérience de shopping, que ce soit pour une marque de luxe ou une société comme H&M, se rapprochera de plus en plus d’une expérience de divertissement. Tout ce que nous faisons participe à rallier ces deux mondes.

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