Henri Foucaud (Hapticmedia) : « Faire de la modélisation 3D un levier d’engagement client »

La modélisation 3D et son affichage en temps réel annoncent une révolution de l’expérience client. De la personnalisation à la fine compréhension des produits, la 3D offre de multiples cas d’usage et bouleverse déjà les habitudes de nombreux acteurs, notamment du secteur du luxe. Depuis 2013, la société Hapticmedia conçoit et développe des solutions de modélisation 3D et de réalité augmentée pour répondre à des attentes de plus en plus fortes en matière d’immersion. Actu Retail a pu aller à la rencontre de son CEO et cofondateur, Henri Foucaud.

Quels sont les éléments de contexte et les tendances qui vous ont conduit à vous intéresser à la modélisation 3D ?

Henri Foucaud : Notre point de départ est avant tout technique. En 2013, mes associés dressaient le constat qu’il était impossible d’afficher de la 3D en temps réel sur un téléphone. Il n’existait pas, à cette époque, de système de rendu pouvant utiliser la carte graphique de nos téléphones pour mouvoir un objet de façon interactive. Ce premier constat nous a incités à développer une solution permettant de répondre à ce problème. Cela a supposé de créer un moteur de rendu suffisamment léger et condensé, intelligemment codé, pour pouvoir fonctionner sur des cartes graphiques de téléphone qui étaient alors beaucoup moins performantes. Notre intuition, qui s’est révélée juste par la suite, était de croire que les navigateurs rendraient possible rapidement l’utilisation de tels moteurs de rendu.

Nous avions également identifié une opportunité de marché. De notre point de vue, le principal frein à l’achat sur les sites e-commerce est une compréhension imparfaite du produit – de sa qualité, de ses détails, de ses scénarios d’usage, de sa compatibilité avec notre environnement et nos goûts. Nous avons souhaité répondre à ce frein et faciliter la conversion en ligne pour les marques.

La 3D a en effet un avantage : elle consiste en une combinaison de bibliothèques de formes et de matières, qui peuvent être associées de manière instantanée. Il est ainsi possible de proposer assez rapidement et de manière fluide au consommateur la modélisation de son choix, dans une logique de cocréation. Plus un produit est personnalisable et plus cette technologie trouve son sens. C’est ainsi que nous avons pensé qu’il était important de renouveler l’expérience client, notamment sur téléphone, par le truchement de la 3D.

Quelles sont les solutions proposées aujourd’hui par Hapticmedia ?

Henri Foucaud : D’une manière générale, nous accompagnons nos clients dans la digitalisation de leurs produits, pour permettre à leurs propres consommateurs de les représenter sur différents supports et dans différents cas d’usage. Notre premier objectif est de visualiser un produit de manière digitale et de façon très réaliste, presque émotionnelle. La modélisation 3D permet en effet de traduire l’émotion que suscite un produit et ses matières lorsque l’on interagit avec celui-ci. Ce qui rend un objet vivant, par exemple, c’est la façon dont la lumière va se refléter sur les différentes matières. C’est ce reflet que l’œil perçoit et qui fonde la qualité, la finesse, la chaleur d’un produit.

Grâce à notre moteur de rendu, le consommateur peut manipuler « virtuellement » un objet sous toutes ses coutures. Nous intégrons certains cas d’usage : par exemple, pour une montre, le consommateur peut activer la fonction chronomètre et ainsi apprécier l’ensemble des fonctionnalités du produit. 

De même, toutes les montres que nous modélisons sont à l’heure au moment où elles sont consultées par un internaute. Ces détails permettent au consommateur de mieux comprendre les scénarios d’usage de l’objet et de se projeter dans sa possession. S’agissant d’un meuble de cuisine modélisé en 3D, le consommateur peut être invité à ouvrir ses tiroirs. Il est également possible d’ouvrir un sac à main pour consulter son intérieur. Les usages de la 3D sont infinis, il n’y a pas de limites aux logiques d’animation que l’on peut mettre en place.

La dimension « personnalisation » est importante. Avec la 3D, un consommateur peut sélectionner les formes et les matières désirées pour en observer la combinaison de manière instantanée. Pour un bijou, il peut s’agir des couleurs et des types de pierres. Les possibilités de personnalisation sont rapidement très nombreuses dès lors que vous pouvez faire varier une matière ou une forme.

La 3D intègre aussi des éléments de « marking » : le consommateur peut visualiser en temps réel ce que donnerait la gravure d’un texte à l’intérieur d’une bague ou sur un objet en cuir, par « hot stamping ». Il s’agit d’une personnalisation que l’on peut qualifier d’avancée puisque les objets ainsi modélisés sont pour le coup uniques. Le « marking » rend possible une forme infinie de personnalisation, car elle ne repose plus sur des choix prédéfinis selon un nombre limité de critères.

Des scénarios de réalité augmentée et d’essayage virtuel peuvent enfin être proposés via la 3D. Par exemple, un client peut positionner un meuble dans son salon pour voir s’il s’accorde avec la couleur de son papier peint. Il est possible de reproduire cette approche avec des sacs ou des montres, en les positionnant « virtuellement » sur sa table à manger.

La réalité virtuelle répond plutôt à une logique d’essai du produit. Nous disposons d’un cas d’usage appliqué aux lunettes, pour pouvoir les tester directement sur soi grâce à son téléphone. Il en va de même avec les bracelets, les montre et les bagues – sur son poignet ou son doigt. Pour arriver à tous ces résultats, notre approche technologique a évolué avec le temps. Progressivement, nous avons décidé d’investir le champ de l’intelligence artificielle et de la reconnaissance des formes.

Des indicateurs de performance permettent-ils de rendre compte de la pertinence économique, pour les marques, de recourir à la modélisation 3D ?

Henri Foucaud : Cette performance n’est pas facilement mesurable, mais nous disposons de plusieurs éléments. La visualisation 3D et la personnalisation par la modélisation génèrent un engagement qui est supérieur de 40 % à une situation conventionnelle. Les taux de rebond sont significativement meilleurs et le temps passé sur les pages d’une marque est beaucoup plus important, ce qui renforce le lien émotionnel noué entre le consommateur et les produits consultés.

La 3D favorise l’acte d’achat, que celui-ci intervienne sur Internet ou en boutique. En somme, nous participons à la fiabilisation des « leads » de nos clients. L’endroit importe peu, car cette expérience enrichie par la 3D peut être aussi bien vécue sur mobile que transposée en magasin. En effet, tous les points de vente ne disposent pas nécessairement d’un assortiment reflétant l’ensemble du portefeuille d’une ou plusieurs marques. La 3D permet de faire vivre l’expérience d’un produit fini en magasin et de visualiser toute la palette de personnalisation possible, ce qui est un atout essentiel permettant de consolider la relation client. Des dispositifs hardware spécifiques – comme les tablettes utilisées par les vendeurs – peuvent être déployés pour accompagner le consommateur dans cette démarche.

Quelle est la maturité des distributeurs et des marques sur ces thématiques ? Pensez-vous qu’un effort pédagogique soit encore nécessaire afin de les convaincre d’utiliser de telles solutions ?

Henri Foucaud : Les choses évoluent rapidement. Il y a deux ou trois ans encore, les marques investissaient dans notre technologie dans un état d’esprit pionnier. Aujourd’hui, la logique est plutôt celle d’un passage à l’échelle, notamment pour les grandes marques du luxe. Nous avons dépassé la phase de sensibilisation durant laquelle nous devions expliciter la technologie et ses avantages. Nous défendons désormais le niveau de qualité de notre solution et son interopérabilité avec l’ensemble des écosystèmes techniques qu’utilisent nos clients.

Les solutions que vous proposez sont-elles essentiellement destinées au secteur du luxe ?

Henri Foucaud : Il n’y a pas de volonté de notre part de fermer notre horizon au seul secteur du luxe. Néanmoins, nos niveaux de rendu sont très exigeants et sont en phase avec les attentes propres à cette industrie, ce qui n’est pas forcément le cas de tous nos concurrents. Nous disposons donc d’une notoriété au sein du secteur et y avons développé une stratégie verticale avec un réel savoir-faire. Nous travaillons cependant avec d’autres secteurs. Je peux citer les cuisines Schmidt, Puma, ou encore certains industriels qui, eux aussi, ont un niveau d’exigence élevé avec le rendu de leurs modélisations.

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